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Chroniques
The Tender Land | Le doux pays
opéra d’Aaron Copland
Créé au printemps 1954, l’opéra The Tender Land ne s’inscrit pas dans la veine sérielle que son auteur, Aaron Copland, explorait dès la fin des années quarante. Aussi n’y faudra-t-il pas chercher les éclairs de Connotations ou d’Inscape, œuvres pour orchestre à venir, ni du génial Quatuor pour piano et cordes de 1950, mais plutôt considérer sa parenté avec les grandes pièces néoclassiques fortement inspirées de l’histoire nord-américaine, comme le fameux Appalachian Spring, Rodeo ou encore Billy the Kid.
Les thèmes américains étant plus que présents dans le catalogue de Copland, on ne s’étonnera pas qu’idée lui prit de se pencher sur Louons maintenant les grands hommes, livre paru en 1936 où les textes de James Agee (qu’au moins l’on connaît, si l’on n’est pas féru de littérature américaine, pour son scénario de La nuit du chasseur) et les photos de William Evans suivaient et commentaient la vie de trois familles de métayers de l’Alabama durant la grande dépression consécutive à la crise de 1929. Ces visages traversant tout droit l’œil du photographe, on les connaît bien, aujourd’hui, de même que le livre traduit chez Plon (disponible aujourd’hui chez Pocket, collection Terre Humaine). On peut aisément imaginer que Copland vit les bouleversants clichés pris par Evans pour la Farm Security Administration (qui engagea une douzaine de photographes – parmi lesquels l’excellent Jack Delano, l’incisif Ben Shahn, le plus froidement objectif Carl Mydans et la bouleversante Dorothea Lange – entre 1935 et 1942 afin d’évaluer les conditions de vie en milieu rural ; cette institution avait pour mission d’aider les fermiers, dans le cadre du New Deal) lors des diverses expositions new-yorkaises, entre 1936 et 1939, dans des tirages certainement plus probants encore.
La révolte de la jeune Laurie à qui il tarde de vivre elle-même, loin de la misère partagée avec son grand-père, sa mère et sa petite-sœur, quitte à suivre un vagabond plus pauvre encore, mais dans l’aventure d’une misère autre, nouvelle, active, pourrait-on dire, et amoureuse, plonge le public dans le climat des Raisins de la colère, grande fresque à laquelle on pense immédiatement, strictement contemporaine des photos évoquées plus haut (n’oublions pas que Coplan composa en 1939 la musique d’un film de Milestone d’après un autre roman de Steinbeck, Des souris et des hommes, situé dans le même contexte).
Pourtant, durant les quelques cent minutes de l’opéra, ici monté en version de chambre, l’argument ne tient guère et l’intrigue paraît relativement mièvre. Sans conteste la faute en incombe à la partition, par trop sirupeuse dans ses copieux élans lyriques et l’indigence de sa forme. La mise en scène de Jean Lacornerie prend à son compte la version da camera, usant d’un décor en modèle réduit où les chanteurs font évoluer leurs doubles en marionnettes dont le jeu, filmé et projeté en direct sur une moitié de la scène, crée ingénieusement distance et proximité dans le même temps.
Le plateau vocal est satisfaisant, avec le mezzo avantageusement charnu de Susannah Self en Ma Moss, le solide baryton Benedict Nelson dans le rôle de Top, la lumière du timbre et la vaillance du chant de Ben Johnson en Martin, et le Splinters de Brian Bruce. Le jeune soprano Elena Galitskaïa possède bien des atouts de Laurie, avec une voix claire et fort souple, une belle aisance scénique, un grand naturel dans le jeu, mais un format qui, même avec cette petite fosse, ne passe pas toujours la rampe. Au pupitre, Dominic Grier signe une lecture sainement prudente.
BB