Recherche
Chroniques
This is not a dream
concert-optique de Louise Moaty
Tour à tour, Alain-Fournier, Balzac et Proust ont évoqué dans leurs pages la lanterne magique, source d’émerveillement pour petits et grands, en un temps où le cinéma n’avait pas encore de popularité, sans même parler d’existence. Si les travaux de divers scientifiques du XVIIe siècle peuvent laisser le doute de sa paternité (le Danois Thomas Walgenstein, l’Allemand Athanasius Kircher), il est admis que l’ancêtre des appareils de projection fut inventé par Christiaan Huygens (1629-1695) mathématicien, astronome et physicien néerlandais. Apparue en 1659 à La Haye, la machine prend divers appellation (lanterne de peur, mégalographique, thaumaturgique, etc.) avant de trouver son nom définitif, moins de dix ans plus tard.
Avec l’aide de partenaires avisés (école d’horlogerie de Porrentruy, Compagnie Les Rémouleurs) [lire notre chronique du 20 septembre 2007], Louise Moaty a conçu sa propre lanterne magique. Après l’avoir associée à Couperin, voilà quelques années [lire notre chronique du 22 décembre 2010], elle l’allume à présent dans un spectacle qui célèbre deux iconoclastes de l’histoire musicale, Erik Satie (1866-1925) et John Cage (1912-1992), mais aussi le chat, présence éternelle qui leur fut associé.
Entre source lumineuse et lentille de l’appareil, la jeune femme place des images peintes sur des plaques de verre, fixes le plus souvent, mais parfois animées. Sur l’écran rond qui domine la scène défilent des personnages dans un mouvement horizontal, vertical et même circulaire. Déjà variés par eux-mêmes (dessin réaliste ou silhouette épurée façon fil de fer), ceux-ci alternent avec des séquences plus géométriques proches de l’illusion d’optique, des jeux typographiques, des petits engrenages en mouvement, etc. De la même façon, l’illustration figurative – l’année d’un arbre pour The seasons – cède parfois à l’abstraction – le jeu de fluides (eau, huile, encres) pour A dream, autre pièce de Cage.
Malheureusement, sans même parler de la faiblesse de certains croquis, cette trop grande variété nuit à la magie attendue, le spectacle tournant à la démonstration. On préfère finalement la projectionniste en mime-acrobate dans deux des six mouvements de The perilous night (Cage), puis dans la cinquième Gnossienne, lorsqu’elle rejoint la « lune » suspendue pour un hommage au théâtre d’ombres qui fit les beaux jours du Chat noir [lire notre chronique du 27 janvier 2005].
Élève d’Heinrich Neuhaus à Moscou, Alexeï Lioubimov défend depuis toujours l’avant-garde. De Satie enregistré récemment [lire notre critique du CD], il livre des pièces entières (Sur un vaisseau, Les pantins dansent, Avant-dernières pensées, etc.) et des extraits (Sports et divertissements, Cinéma). Si ce dernier titre l’invite au clavier d’un instrument préparé – attraction du public, au tomber de rideau –, jouer Cage (Music for Marcel Duchamp, etc.) l’amène aussi devant un jouet (Suite for toy piano) ou un piano fermé, avec chanteuse (The wonderful widow of eighteen springs). Une fois encore, on aime l’interprète pour des qualités qui s’apprécient sans trop d’images : grande tenue, fluidité chaleureuse, sens du relief et de la nuance.
LB