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Thomas Lacôte joue les Trois Chorals de César Franck
Le dernier concert de l’édition 2019 du Festival de Royaumont met en vedette le superbe Cavaillé-Coll du Réfectoire des moines et l’organiste et compositeur Thomas Lacôte, en résidence pour trois ans à la Fondation Royaumont. Cotitulaire de l’orgue de La Trinité, dans le sillage d’Olivier Messiaen, l’artiste est aussi improvisateur et compositeur. Son catalogue (plus d’une vingtaine d’œuvres à ce jour) est centré sur les claviers – orgue, mais aussi piano à deux et quatre mains – et s’enrichit de pièces pour ensemble et de musique vocale, notamment pour chœur. Lacôte est également musicologue, chercheur et professeur d’analyse au CNSMD de Paris, autant de qualités mises au service d’un instrument dont il contribue à revitaliser l’image et à élargir le répertoire, à travers les ressorts de l’écriture contemporaine.
Il a consacré cette première année de résidence à l’approfondissement de ses recherches sur la musique d’orgue de César Franck, réflexion et travail transmis lors d’un atelier de formation en avril dernier. Il est à la console du Cavaillé-Coll – restauré de 2003 à 2007 par Laurent Plet (ndr) [lire notre chronique du 21 octobre 2007] – au côté de son collègue et ami Hampus Lindwall, lors du premier concert de l’après-midi, où est redonné Individua de Raphaël Cendo. À 17h30, encadré par ses deux assistants, il clôture en beauté un mois de manifestations tous azimuts à l’abbaye, avec les Trois Chorals de Franck. Testament du compositeur et somme de l’écriture pour orgue au XIXe siècle, le cycle n’avait jamais encore été entendu ici dans son intégralité : une heure de musique non-stop où l’interprète fait précéder d’une improvisation chacun des chorals.
Ce sont les registres extrêmes de l’instrument qu’explore Thomas Lacôte dans ce premier prélude non mesuré – pour reprendre l’expression des Anciens. Court, il entretient un certain sentiment d’attente : brefs motifs circulaires, figures rubans tournées vers la lumière, polyphonie flottante accusant quelques détours chromatiques. Le jeu de voix humaine et tremblant utilisé par l’interprète se retrouve dans le Choral en mi majeur n°1, directement enchaîné. Très wagnérienne dans sa facture, l’œuvre favorise le glissement chromatique des lignes au sein d’un contrepoint de plus en plus riche que l’organiste détaille avec une clarté exemplaire. Le thème éloquent, suivi de plusieurs variations, chemine vers une péroraison somptueuse, donnant toute son envergure à l’orgue symphonique de Franck. Rappelons que les Trois Chorals ont été conçus pour le Cavaillé-Coll de Sainte-Clotilde où officiait le compositeur.
La seconde improvisation se cantonne dans le médium-grave, avec les sonorités filtrées du pédalier et tout un monde de bruissement et de mécanique que laisse entendre l’instrument lorsqu’il se fait discret : du mobile dans l’immobile qui lévite avant le Choral en si mineur n°2, quasi-brahmsien, qui laisse tourner, au début du moins, une basse obstinée sur laquelle s’inscrit un discours de plus en plus dense et toujours varié. La sûreté du trait et la fermeté de l’écriture en imposent, sous le jeu de Lacôte qui dompte l’orgue – parfois rétif, nous dit-il – avec une énergie sidérante. La chaîne des couleurs harmoniques et les plans sonores, assurés par les changements rapides de registration – les assistants ne chôment pas ! – entretiennent la tension de l’écoute dans cette trajectoire sinueuse qui s’achève sur la lumière du si majeur.
La troisième improvisation est la plus risquée, dans le registre oiseau de l’instrument, rarement exploité. Le musicien articule de courtes incises qui rejoignent parfois la qualité de l’onde électronique, au sein d’un univers où le silence et la transparence sont des composantes du discours. Quasi allegro, le Choral en la mineur n°3 prend des allures de fantaisie, favorisant la liberté du geste et la fluidité de l’écriture : une musique plus française peut-être, chromatique toujours et voluptueusement lyrique en la présence du thème qui circule dans les différentes voix de la polyphonie. Elle est tenue de main de maître par Thomas Lacôte qui embrase in fine l’espace bien sonnant du réfectoire des moines, avec le déploiement du plein jeu, dans une coda solidement charpentée.
MT