Recherche
Chroniques
Tom Jones
opéra de François-André Danican Philidor
Le 27 février 1765, à la Comédie Italienne (Paris) était donné pour la première fois Tom Jones, ouvrage composé par le normand François-André Danican Philidor sur un livret de Poinsinet et Davesne imaginé à partir de The History of Tom Jones, roman satirique signé Henry Fielding en 1749. L'œuvre serait reprise l'année suivante à l'Hôtel de Bourgogne et dix ans plus tard à Lausanne, soit en 1766 : précisément l'année que la maison vaudoise fête depuis le 15 janvier, dans le cadre d'une Commémoration Mozart qui se poursuivra jusqu'en avril. Si l'événement proposera Così fan tutte et Der Schauspieldirektor associé à La canterina de Haydn, il fut lancé dimanche par la fort belle exposition En passant par Lausanne : évocation de la vie musicale, lyrique et théâtrale à Lausanne et dans ses environs entre 1766 et la Révolution française, installée dans le salon Alice Bailly de l'Opéra, et ce soir même par la première de Tom Jones, nouvelle coproduction avec l'Opéra de Tours.
À la tête du Sinfonietta de Lausanne, Jean-Claude Malgoire développe une lecture tonique et claire qui s'avère également profonde. Particulièrement présent dans l'Ouverture et le premier acte, sa conduite s'efface au fil de l'action, se faisant d'une discrétion déroutante dans la seconde partie de la soirée, mais toujours soigneusement attentive aux voix.
Sans générer de notable émotion, la distribution vocale présente un travail correct. Leonard Pezzino se montre égal à lui-même – élégant, posé et précautionneusement phrasé – dans la très brève partie chantée d'Allworthy, tandis que Rodolphe Briand compose un neveu Blifil d'une effrayante crédibilité. À la rafraîchissante présence de la comédienne Ana Tordera, cabaretière vive, drôle et attachante, répondent le fort efficace quatuor vocal que forment Dominique Bonnetain, Frédéric Burdet, Jean-Pascal Cottier et Guillaume Michel – quatuor équilibré et précis qui ouvre le dernier acte –, mais encore l'Honora au timbre richement coloré de Carine Séchaye.
D'une voix plutôt souple accusant toutefois un médium un rien sourd, Sibyl Zanganelli incarne l'autoritaire Mrs. Western. Marc Barrard campe son frère, chasseur fanatique, dont on saluera l'irréprochable diction, la projection évidente, et le chant bien mené, qualités néanmoins assombries par des vocalises assez lourdes, une cruelle absence de nuances et un jeu certes sympathiquement bon-garçon mais indiciblement imbécile. Un peu acide au premier acte, Sophie Marin-Degor s'avère par la suite une Sophie satisfaisante dont on notera l'excellent soutient – comme c'est également le cas chez Mozart, la partition nécessite à plusieurs reprises un gros effort, ici parfaitement assumé. Enfin, Sébastien Droy est un Tom Jones élégant et clair, conduisant superbement l'air Vous voulez que je vous oublie ? (Acte II) vers un aigu lumineux.
Si quelques spectateurs mal renseignés fulminent de ne pas trouver ici le chanteur gallois Tom Jones, une grande partie du public, croyant naïvement y rencontrer une réelle adaptation de la mordante épopée critique de Fielding, reçoit coite l'indigent opéra de Philidor. Les adaptateurs se sont en effet concentrés sur les aspects les plus futiles de leur sujet, produisant un vaudeville sans grand intérêt que la musique – non intégralement dépourvue d'un certain génie qui n'en contredit pas l'affligeant dilettantisme – ne parvient pas à magnifier.
Préciser que dans un souci d'actualisation le metteur en scène Vincent Vittoz s'aventura dans la réécriture partielle du livret, soulignant d'autant de vulgarité un texte qui, dans l'état, ne portait déjà pas bien haut, que sa production, truffée de gags crasseux, s'articule d'autant de vieilles ficelles répétitives (pied dans le seau, bastonnade ridicule, qui plus est mal réglée, etc.), que les dialogues bénéficient d'un ton terriblement artificiel et tristement scolaire, c’est inviter le lecteur resté chez lui à s'estimer fort sage se s’être épargné bien du désagrément.
BB