Chroniques

par katy oberlé

Torvaldo e Dorliska | Torvald et Dorliska
dramma semiseria de Gioachino Rossini

Rossini Opera Festival / Teatro Rossini, Pesaro
- 15 août 2017
Mario Martone met en scène Torvaldo e Dorliska au Rossini Opera Festival, Pesaro
© amati bacciardi

Cette deuxième soirée au passionnant Rossini Opera Festival de Pesaro s’aventure elle aussi vers une rareté, comme c’était le cas hier avec La pietra del paragone, très peu programmé [lire notre chronique de la veille]. Le 26 décembre 1815 était créé au Teatro Valle de Rome Torvaldo e Dorliska. Le librettiste Cesare Sterbini, qui serait celui du Barbier l’année suivante, en tirait l’argument d’un épisode des Amours du chevalier de Faublas, roman un rien libertin paru entre 1787 et 1790 qui fit la fortune de son auteur, Jean-Baptiste Louvet de Couvray, l’un des rares révolutionnaires dont la tête ne quitta pas les épaules. C’est également dans ces fausses mémoires que Kreutzer, Cherubini et Mayr avaient puisé le sujet de leurs Lodoiska [lire nos critiques des ouvrages du deuxième et du troisième]. Ce puits d’aventures diverses et variées servirait encore : le Berlinois Richard Wüerst (1824-1881) signait en 1872 l’opéra-comique Faublas et le Parisien Camille Erlanger (1863-1919) son Faublas en 1897, Hofmannsthal trouvant au siècle suivant matière au Rosenkavalier mis en musique par Strauss en 1911.

Torvaldo e Dorliska ne connut pas un franc succès. Pourtant, le cadre féodal de l’intrigue et ses personnages nettement dessinés auraient pu s’inscrire dans le goût de l’époque. Peut-être en aurait-il été autrement si l’opéra s’était mal terminé, au lieu de cet happy end qui laisse un peu le spectateur sur sa faim. Mais en 2006, le festival s’est investit dans une nouvelle édition critique de la partition et dans sa production sur scène. La mise en scène de Mario Martone [lire nos chroniques du 6 décembre 2016, du 7 mai 2015, du 4 février 2014 et du 27 juin 2008] est reprise lors de cette édition 2017. On s’en réjouit, tant cohérence et inventivité s’y mêlent adroitement ! Le décor de Sergio Tramonti suggère les ambiances sylvestres sans les représenter, les costumes d’Ursula Patzak situent nettement l’action, tandis que Martone réussit l’exploit de placer le château dans la salle en osant une proximité inattendue. Grâce à une passerelle, les chanteurs enjambent la fosse d’orchestre où œuvre Francesco Lanzillotta, à la tête d’un Orchestra Sinfonica Gioachino Rossini très expressif. Le travail en détail laisse entendre toutes les intentions dramatiques, main dans la main avec la proposition théâtrale.

De retour au centre ville, dans un théâtre à l’ancienne dont l’acoustique convient forcément mieux que celle d’un complexe sportif, on apprécie mieux encore un casting bien choisi. Rossinien habile [lire nos chroniques du Comte Ory, de Mosè in Egitto et d’Otello], le jeune Dmitri Korchak est un Torvaldo brillant qui se joue des exigences colorature du rôle. Avec un timbre riche et qui caractérise sa voix comme une empreinte digitale, le soprano Salome Jicia livre une agile Dorliska. Attachant, le personnage est bénéficie d’un aigu de rêve doublé d’un grave solide et suave ; seul le médium est presque faible, mais un peu plus de métier y remédiera bientôt. L’impact généreux et impératif du baryton Nicola Alaimo servent un Duca d'Ordow très puissant, façonné avec nuances, y compris dans le jeu : au tyran il prête une profondeur humaine qui parvient à émouvoir [lire nos critiques de Guillaume Tell et Lo frate 'nnamorato]. La fermeté de l’émission de Carlo Lepore fait son effet en Giorgio, le serviteur buffo du duc. On retrouve avec bonheur l’excellente Raffaella Lupinacci [lire notre chronique du 25 novembre 2016] : sa Carlotta est chantée avec un style parfait. La solide voix de Filippo Fontana campe un Ormondo satisfaisant [lire notre chronique de La scala di seta]. Enfin, les artistes du Coro del Teatro della Fortuna Mezio Agostini, dirigés par Mirca Rosciani, sont efficaces.

KO