Chroniques

par bertrand bolognesi

Tosca
opéra de Giacomo Puccini

Opéra de Marseille
- 13 mars 2015
Adina Aaron et Carlos Almaguer dans Tosca, à Marseille, en 2015
© christian dresse

Ce n’est pas une fastueuse reconstitution de San’Andrea della Valle qu’abrite ce soir le beau théâtre de Gaston Castel (1924), mais une stylisation radicale, bloc pivotant où quelques colonnes nimbées d’un halo de Chandeleur inventent l’église, où une fière façade Renaissance fait son Farnèse et dont de sinistres grilles dessineront la prison finale, sans qu’il soit nécessaire de représenter le château du Tibre. Avec la complicité de Patrick Méeüs pour les lumières, Louis Désiré signe une Tosca d’une exemplaire sobriété scénographique dont l’esthétique toujours fait sens. La gestion des espaces y autorise un Te Deum sans encombrement ; à l’acte médian, la suggestion d’un dîner en terrasse sous la nuit romaine transforme ingénieusement tout le palais en un lieu de noire souffrance dérobé à la vue, jouant décidément la carte – celle de l’œuvre, de fait – du son qui titille l’imaginaire ; au III, pas de berger : cette geôle-là n’hésite pas à retenir l’enfance. Outre cette géographie signifiante, la mise en scène soigne le détail dramatique, qu’il s’agisse de l’héroïne dénudant lentement ses avant-bras durant les écritures de son bourreau ou des considérations nauséeuses sur la conquête sexuelle et les plaisirs de la chair qu’il confie à un vieux curé fatigué, par exemple. Encore interroge-t-elle le texte dont elle projette la croix, déterminée de « Tosca, mi fai dimenticare Iddio » (I) à « O Scarpia, avanti a Dio ! », désignant Vissi d’arte comme absolue clé de voûte, îlot désillusionné par ce rideau de théâtre de la scène finale, monde autre qui soustrait Tosca au réel par-delà l’ultime envolée fatale. L’art gagne donc ? Qui sait…

Bien qu’inégale, la distribution vocale satisfait. Jean-Marie Delpas y campe un Sciarrone efficace, la partie de Spoletta étant luxueusement confiée au très musical Loïc Félix dont flamboie l’aigu. Le Sacristain de Jacques Calatayud remplit sa charge sans cabotinage. Angelotti accuse un Antoine Garcin en petite forme, assez laborieux. Quant au rôle-titre, il faut attendre l’Acte II pour commencer d’en apprécier l’interprétation. Assurément, Adina Aaron possède un grave riche, mais les premiers pas sont si prudemment amorcés que les phonèmes s’estompent en un coperto qui disloque jusqu’aux consonnes, ternissant même le timbre. Soudain, la voix du soprano étasunien s’ouvre, révélant dans cette tension qui précède le meurtre une fulgurance étonnante et une plénitude plus probante. Une présence au jeu se montre là, avec « E davanti a lui tramava tutta Roma » sur le souffle, bouleversant. En dernière analyse, le seul problème de l’artiste est une déficience du bas-médium qui vient grever un chant par ailleurs bien mené. Parfaitement impacté, le Cavaradossi de Giorgio Berrugi est à la fois serti et lumineux. Le souffle est grand, la projection avantageusement contrôlée. Enfin, on retrouve l’impressionnant Scarpia de Carlos Almaguer, applaudi à Montpellier il y a une dizaine d’années [lire notre chronique du 3 mars 2005] : après une entrée fracassante, le baryton mexicain distille des délices de férocité. À l’opéra, comme les enfants nous aimons avoir peur, mais parce qu’enfants nous ne sommes plus, peu de Scarpia peuvent nous faire peur : celui-ci est proprement terrible.

En fosse, Fabrizio Maria Carminati s’attelle à une lecture particulièrement nuancée, profitant d’un bon pupitre de flûtes, entre autres. Les percussions en baignoires ne font malheureusement pas l’effet voulu mais, dans l’ensemble, les musiciens de l’Orchestre de l’Opéra de Marseille défendent au mieux une partition qu’ils n’ont pas jouée depuis dix ans [lire notre chronique du 9 avril 2005].

BB