Chroniques

par françois cavaillès

Tosca
opéra de Giacomo Puccini

Opéra de Monte-Carlo / Grimaldi Forum
- 16 novembre 2015
Martina Serafin est Floria Tosca à l'Opéra de Monte-Carlo (16 novembre 2015)
© alain hanel | omc

À Monaco, où l'on sait fort bien parler, manger et chanter italien, la saison s'ouvre en beauté par une nouvelle production de Tosca de grande qualité. Portée par un trio de chanteurs de haute volée, Tosca est révélée, au sens photographique, dans une mise en scène que signe le directeur de l'Opéra de Monte-Carlo, Jean-Louis Grinda, mise en scène à la fois classique et originale visant à établir un parallèle entre l'œuvre de Puccini et le cinéma.

En trois moments-clés, comme suivant un générique, cette intention paraît évidente dans le recours à de courts extraits vidéo d'une dizaine de secondes maximum, projetés sur un fin écran étendu à partir des quatre coins de l'immense scène du Grimaldi Forum. En incipit et en conclusion de la représentation, une caméra subjective suit la détresse finale et, surtout, le saut de l'ange de l'héroïne, tandis qu'au tout début de l'Acte II, tel un intertitre, est montrée en gros plan la chute d'une étoffe dans les airs... L'image aux teintes numériques est souvent gorgée de rouge et de gris, évoquant celles des derniers films de Francis Ford Coppola.

Dans la même veine cinématographique – elle rappelle plus précisément alors, et à trois reprises, le Dracula de Coppola (1992) –, la scène essentielle du meurtre de Scarpia marque le regard, au delà de l'action triviale et théâtrale, par la sensualité de Floria, tout d'abord, dans sa robe rouge gothique, puis par l'ombre de son profil assassin clairement détachée sur un mur latéral ; enfin par les lumières très rougeoyantes sur un tableau, de style antique, suggérant le viol (qui a été déployé sur le large fond de scène pour ce passage exclusivement).

En plus des luxueux décors surdimensionnés d’Isabelle Partiot-Pieri, où le réalisme et les imposantes références religieuses (statue, mobilier, etc.) profitent d'un espace scénique exceptionnellement vaste, l'usage de figurants ajoute également un caractère de film. Imagé donc, mais bien vivant ! Ainsi, pour illustrer sa muflerie (au commencement du deuxième acte), le baron chasse vite de son lit une jeune femme presque nue.

Davantage que dans la recherche de nouvelles formes « ciné-opératiques », la principale victoire de cette Tosca réside plutôt dans la distribution, riche en authentiques vedettes. Les trois grands rôles trouvent ici toute leur mesure (ou presque). Possible archétype du ténor héroïque puccinien, Marcelo Álvarez (Mario Cavaradossi) s'impose vite par la justesse, son timbre chaud et un jeu musclé. Mieux encore, Tosca est incarnée avec un savoir-faire, une maîtrise et une classe remarquables par Martina Serafin. Aujourd'hui le soprano viennois se classe sans doute parmi les grandes interprètes du rôle. Si les personnages semblent parfois perdus dans la profondeur du plateau, aucun cabotinage de sa part. Son jeu excelle, même muette en sa solitude, car toujours en symbiose avec une fosse complice, ici le subtil Orchestre Philharmonique de Monte-Carlo dirigé par Carlo Montanaro, en suivant bien le fil du drame et, de la sorte, en ménageant belles et grandes émotions. Martina Serafin s'avère spectaculaire cantatrice, que ce soit dans son Vissi d'arte, déchirant et éternel, supérieur à l'attendu, ou dès le premier duel avec Scarpia (Acte I) – preuve magnifique que son visage sait se décomposer alors même que sa voix compose à merveille.

Légère déception, en revanche, quant au Scarpia du baryton-basse Bryn Terfel : il propose un chef de la police plus arrogant et fomenteur qu'odieux et effrayant. Sans doute irréprochable au chapitre vocal, sublime même sur ce plan dans le duo fatidique avec Tosca, Terfel donne l'impression d'une très belle bête à concours un rien mal à son aise dans les habits dorés du baron – amples costumes de Christian Gasc. Ou peut-être est-il simplement dans un mauvais soir... Pour l'anecdote, au terme ensanglanté de l’acte médian, quelques rires surgissent à l'apercevoir soudainement se relever très vite quand la chute du rideau a manqué le « couper » en deux !

Toujours à propos des voix, à noter la bonne tenue du chœur « maison », nombreux et puissant – presque trop dans cette acoustique de paquebot, certes superbe et « moderne », du Grimaldi Forum. Au premier acte, les préparatifs de fête royale montrent l'apport joueur et dynamique des jeunes membres de la Chorale de l'Académie de musique Rainier III, bien dans leurs rôles d'enfants de chœur. Enfin, relevons qu'en tout début de soirée, le ministre de l'Intérieur monégasque adressait un message de soutien à la France en deuil, avant une minute de silence et les deux hymnes nationaux.

FC