Chroniques

par gilles charlassier

Tosca
opéra de Giacomo Puccini

Opéra royal de Wallonie, Liège
- 1er décembre 2018
Virginia Tola et Marco Vratogna sont Tosca et Scarpia à Liège...
© opéra royal de wallonie, liège

Pour ne pas relever de la catégorie raretés du répertoire, loin s'en faut, Tosca de Puccini n'est pas nécessaire condamné à la patine de la routine. Parfois, il arrive que l'on redécouvre une œuvre trop connue. Par la grâce de la baguette de Gianluigi Gelmetti, qui a étudié auprès de Celibidache, la partition du Toscan respire avec une fraîcheur nouvelle, frémissant d'une vitalité dramatique oubliée. La clarté analytique de la direction ne cherche pas la gratuité, tant dans la mise en valeur du dessin mélodique que dans la lisibilité des textures. Elle encourage les pupitres de l'Orchestre de l'Opéra royal de Wallonie à faire vivre la diversité expressive et suggestive de maints détails, contribuant à restituer l'ample palette de sentiments et de situations qui se succèdent. Non dénuée d'humour, la versatilité pastorale du premier acte témoigne de cet instinct théâtral, rehaussant, par contrastes subtils et sans avoir besoin de forcer le trait, la densité tragique de l'œuvre.

Caressées par cet écrin délicat qui sait calibrer sa fonction avec une remarquable justesse, modulant les plans de manière cinématographique, catégorie art et essai, les oreilles n'en deviennent que plus attentives aux voix, dialoguant alors d'égal à égal avec la fosse. Assumant le rôle-titre dans la première distribution – au sens chronologique plus que qualitatif, ainsi aimerait à le rappeler avec à-propos le directeur de la maison, Stefano Mazzonis di Pralafera –, Virginia Tola se distingue par une vigueur expressive qui compense un monochrome passablement métallique. Plus que diva capiteuse, le soprano argentin souligne le caractère bien trempé du personnage, confondant la vie et la scène, à l'exemple de l'extase religieuse avant de frapper le Scarpia de Marco Vratogna, d'un sadisme plus vrai que nature, et conjuguant ses solides moyens pour une incarnation puissante, écrasante de vérité psychologique jusque dans les replis de la bigoterie perverse [lire nos chroniques du 29 janvier 2016, des 17 avril, 28 juin et 10 décembre 2017]. Aquiles Machado déploie en Cavaradossi un lyrisme généreux, épousant l'héroïsme patriotique du peintre sans faire pour autant de l'ombre à sa tendresse amoureuse.

Lescomprimarii ne déparent pas.
Roger Joakim résume la détresse d'Angelotti, Consul déchu qui ne sacrifie pas la consistance vocale à l'essoufflement de sa fuite [lire nos chroniques du 26 février 2013, du 26 juin 2014, des 14 avril et 27 septembre 2016, du 20 juin 2017 et du 12 juin 2018]. Laurent Kubla ne néglige pas la gourmandise calotine du sacristain. L'arbitraire pénitentiaire est condensé par Pierre Derhet et Marc Tissons, Spoletta et Sciarrone à la cruauté nécessaire, relayée par le geôlier de Pierre Gathier. Membre de la Maîtrise de l'Opéra royal de Wallonie, sollicitée pour le Te Deum, Irina Balta-Les s'acquitte de l'intervention juvénile du berger. Préparé par Pierre Iodice, le Chœur maison prend sa légitime part aux couleurs musicales de la soirée.

Quant à la mise en scène de Claire Servais, créée en 2008 et reprise en 2014, elle s'inscrit dans la ligne esthétique de l'institution, respectueuse du livret, sans verser dans la surcharge décorative. Imaginés par feu Michel Fresnay, les costumes ne trahissent pas l'Histoire. Dessinés par Carlo Centolavigna et mis en relief par les lumières qu’a réglées Olivier Wéry, les décors baignés de pénombre se contentent des accessoires essentiels, le vitrail à colombe, le prie-Dieu et le tableau dans la chapelle – avec un réalisme peut-être discutable pour la gorge – avant le dîner de Scarpia et la porte de son bureau, sans doute plus baptistère florentin que Farnese mais au monumentalisme efficace, quand le rougeoiement de l'aurore baigne de sang le tableau final. Le classicisme n'étouffe pas sous la poussière.

GC