Chroniques

par irma foletti

Tosca
opéra de Giacomo Puccini

Festival d’Aix-en-Provence / Théâtre de l’Archevêché
- 4 juillet 2019
Christophe Honoré met en scène Tosca au Festival d’Aix-en-Provence
© jean-louis fernandez

S’il fallait agrémenter d’un sous-titre cette représentation de Tosca, ouvrage jusqu’ici jamais donné au Festival d’Aix-en-Provence, on pourrait hésiter entre Souvenirs, souvenirs et Deux Tosca pour le prix d’une. En effet, le metteur en scène Christophe Honoré convoque deux cantatrices : le soprano nord-américain Angel Blue, trente-cinq ans, dans le rôle-titre, ainsi qu’une ancienne gloire du monde lyrique, Catherine Malfitano distribuée en Prima Donna, aujourd’hui âgée de soixante-et-onze ans. Cette dernière habite un superbe appartement, belles boiseries sur les trois côtés, une véranda abritant des végétaux au fond et deux écrans placés au-dessus qui retransmettent en direct des images filmées par des opérateurs omniprésents. On nous informe qu’il s’agit d’un documentaire sur la carrière de la Diva qui, au début, s’adresse au chef – « Caro Maestro, buona sera ». La fosse s’accorde puis l’opéra démarre.

Le premier acte se déroule comme une répétition autour d’un piano, ou même une masterclass donnée par Madame Malfitano : le Sacristain lit sa partition posée sur le pupitre, Mario, pendant son premier air, tient une affiche encadrée de la diva dans le rôle de Tosca à Covent Garden il y a entre vingt-cinq et trente et ans. Cette Tosca du passé prend à son compte les premières interventions du rôle, en particulier les Mario répétés, avant de passer le relais à Angel Blue, en faisant une moue comme pour lui signifier « à toi, maintenant… ». Forte de son expérience, l’aînée donne à la cadette des conseils de mise en scène, des expressions à adopter. De nombreux portraits de la vedette sont posés sur le piano et le duo d’amour entre Floria et Cavaradossi, dans l’église Sant’Andrea della Valle, est illustré par des passages du film de 1992, avec Catherine Malfitano et Plácido Domingo, réalisé sur les lieux et aux heures précises du livret de Giacosa et Illica – j’avoue avoir, à l’époque, visionné le troisième acte (au Château Saint-Ange) en différé et non pas à quatre heures du matin ! Pour la petite histoire, cette diffusion en mondiovision avait failli tomber à l’eau en direct, Domingo se foulant la cheville au premier acte lors d’un petit sprint pour sauver Angelotti. Pour revenir à Aix, ce premier acte ne décolle pas vraiment, Scarpia fait, tout sourire, un baisemain comme dans une soirée mondaine, les enfants sont habillés pour aller à la school anglaise, costume, cravate et chaussettes blanches… on se déchausse chez Madame Malfitano ! On reste tout de même enfermé dans ce concept de répétition, et seule la toute fin de l’acte prend une épaisseur supplémentaire, Scarpia faisant de réelles avances à Tosca, avec un regard en coin insistant quand elle sort de scène.

Ce début de tension dramatique se confirme au II, dans les pièces d’un appartement mises côte à côte en travers du plateau et les écrans à l’étage : à gauche une chambre, un dressing-room et une table de maquillage, à droite la cuisine où Mario boit comme un trou et une table où les hommes de main de Scarpia mangent des nouilles chinoises. Dans la bouche du peintre, « Tal violenza » correspond à son état titubant, il n’est pas torturé mais s’écroule ivre mort dans le lit, puis devient sujet à des cauchemars. On force Tosca à s’asseoir sur le canapé, à côté du Baron, l’artiste alors prise en tenaille, avec Spoletta de l’autre côté qui tente aussi quelques caresses. Pendant ce temps, côté jardin, la Prima Donna fait affaire avec un gigolo. On amène ensuite une robe rouge et, pendant Vissi d’arte, ce sont plusieurs immenses titulaires du passé qui défilent en vidéo sur les deux écrans : Maria Callas, Raina Kabaïvanska, Renata Tebaldi, Shirley Verrett et Régine Crespin. Un texte de Proust est également projeté, tandis qu’on déplace des robes : celles de Lucia, Butterfly et Salomé, la tête coupée de Jochanaan qui accompagne cette dernière étant d’une grande aide pour reconnaître le rôle. Tosca tue Scarpia sans arme, en faisant éclater sur lui des poches de sang, l’ancienne diva s’en barbouille un peu le visage puis va chercher deux chandeliers qu’elle pose au sol avant de s’allonger.

Pour le troisième acte, l’orchestre est placé sur scène. La Prima Donna entre à jardin, traverse la salle après avoir regardé de près une maquette du Château Saint-Ange, puis monte sur scène. C’est elle qui est chargée des répliques du Berger… on est assez loin de la voix blanche du garçon habituel (assuré trop souvent par une femme d’ailleurs !). Le chant est peu stable et le vibrato très développé. Les solistes entrent en tenue de concert, magnifique robe dorée et bijoux pour Tosca. Ils s’alignent à l’avant-scène où sont déposés l’un après l’autre des bouquets de fleurs. Malgré les différents niveaux de lecture de ce théâtre dans le théâtre, on ne peut s’empêcher de penser qu’une éventuelle version de concert mise en espace pourrait s’en approcher de près. Mario n’est pas tué, mais c’est la Prima Donna qui se tranche les veines à l’étage, tandis que Tosca se retourne vers elle, effarée.

Vocalement, Angel Blue domine le plateau, avec une remarquable musicalité, un timbre fruité, des aigus d’une ampleur qui impressionne sans effrayer, l’extrême grave sans doute un peu moins facile que ceux, actuels, de son aînée. Nous tenons là certainement l’une des meilleures titulaires du moment. Joseph Calleja en Cavaradossi ne s’est pas débarrassé de son petit vibratello, amenant par instants une ligne vocale désagréablement trémulante ; c’est dommage, car la voix est puissamment projetée et fait entendre de superbes nuances mezza voce, comme à la fin de son premier air, Recondita armonia. Le ténor n’est sans doute pas au mieux de sa forme, quelques aigus paraissent rétrécis, voire dangereusement fragiles. Le baryton Alexey Markov est solidement timbré et chante fort bien, mais il ne compose pas un Scarpia spécialement terrifiant : la couleur n’est pas suffisamment noire ni le style insidieux. Le Sacristain de Leonardo Galeazzi est excellent – le seul Italien du cast ! – et moins marquant l’Angelotti de Simon Shibambu.

L’Orchestre de l’Opéra national de Lyon, maison coproductrice du spectacle, est absolument impérial. Pour illustration, la sublime introduction d’E lucevan le stelle, aux quatre violoncelles seuls, est une petite merveille. Au pupitre, Daniele Rustioni, son chef principal, magnifie incroyablement cette partition pourtant archiconnue ! La musique respire avec une grande amplitude, mais en évitant de basculer vers le trop-plein de décibels. On décèle tous les détails, même infimes, du chef-d’œuvre de Puccini – un très grand moment de musique. Au rideau final, quelques huées en provenance du balcon se font nettement entendre, adressées à l’équipe de réalisation.

IF