Chroniques

par hervé könig

Tosca
opéra de Giacomo Puccini

Grange Park Opera
- 5 juillet 2023
Une nouvelle TOSCA (Puccini) au festival britannique Grange Park Opera
© marc brenner

Et voilà la petite famille en route, après quelques ballades dans la verte campagne anglaise,pour une brève promenade de moins de cinquante miles (environ soixante-dix-sept kilomètres), entre Oxfordshire et Surrey. Après Mitridate [lire notre chronique du 2 juillet 2023]nous abordons Tosca à West Horsley Place, c’est-à-dire au festival Grange Park Opera que nous retrouvons avec joie [lire nos chroniques de Roméo et Juliette, Un ballo in maschera, Hänsel und Gretel et Don Carlo]. C’est ici qu’à l’été 2017 était inauguré le Theatre in the woods (Théâtre des bois), et précisément par une production du fameux mélodrame lyrique de Puccini, alors signée Peter Relton, que chantaient Ekaterina Metlova et Joseph Calleja, dans le couple-vedette. Six ans plus tard, le destin de Mario et de Floria est de retour, dans la vision de Stephen Medcalf, cette fois [lire nos chroniques d’Il Pirata, The Saint of Bleecker street et Idomeneo]

Ne désavouant pas son prédécesseur qui plaçait l’action dans l’Italie de Mussolini, le metteur en scène ajoute la présence allemande qui fait du peintre et du consul de la république romaine des résistants italiens – de la fin des années vingt, le spectacle passe donc au début des années quarante, Vittoria réagissant sans doute aux progrès de l’opération Shingle avec le débarquement d’Anzio. Et dans cette guerre qui s’essouffle survient un paysage de ruines, dont témoignent l’église dévastée (Acte I), un bureau au lustre branlant et dont on bloque les fenêtres avec des bandes adhésives (II). Le décor de Francis O'Connor se complète par une sévère esplanade d’exécution (III), glaciale, où des soldats allemands abattent le partisan Cavaradossi. Sous les lumières de Tim Mitchell, Medcalf habite ces espaces par un climat d’urgence, d’espionnage incessant, de suspicion, de complot et de terreur. Un pas de côté vers une incongruité relative est le bienvenu en contrepoint grinçant de la tension générale : alors que l’accusé vient de disparaître vers la salle de torture, voici qu’un toqué finit de préparer le souper du baron. Le cynisme de la situation ajoute à l’horreur, le chef de la police tranchant avidement le carré de bœuf saignant pendant un Vissi d’arte qui fait trembler. Un sens du théâtre très sûr conduisant la direction d’acteurs, la cantatrice s’empare de la fourchette à découper le rôti, s’en sert pour agresser Scarpia – ils s’étaient déjà violemment affrontés durant le Te Deum (I) – que finalement elle achève par strangulation. Beaucoup d’idées traversent le spectacle, toutes justes, dont une qui interroge sans donner de réponse : une religieuse réveille un vagabond assoupi aux abords de Saint’Andrea, religieuse que l’on retrouve en surplomb de la plate-forme bétonnée avant la mise à mort, chantant la partie du berger. Plutôt que de se jeter dans le vide, la diva, meurtrière et veuve, s’empale brutalement sur un fusil. On en frémit encore.

C’est avec grande passion que les chanteurs déploient leur art dans cette Tosca enflammée. D’un organe extrêmement puissant, le soprano dramatique polonais Izabela Matuła offre une Tosca très présente, dont les riches harmoniques retentissent partout, portant vaillamment la charge tragique du rôle et de l’ouvrage [lire notre chronique de La Wally]. Ténor robuste et corsé, Otar Jorjikia dote généreusement son Mario, lumineux dans les moments de ferveur et d’espoir. L’intonation est toujours au cordeau. La rencontre du jour s’appelle Brett Polegato : le baryton canadien campe un Scarpia extraordinaire de politesse fielleuse et de perversité brutale, d’un timbre enjôleur à l’impact cependant toujours très ferme [lire nos chroniques de Die Zauberflöte à Genève, Tristan und Isolde et Dinner at Eight]. À sa prestation vocale superlative s’associe un engagement théâtral admirable. La basse noble d’Alan Ewing est idéale en Angelotti musical [lire notre critique du Roi Roger]. On doit à Andrew Slater un Sacristain convaincant, de même qu’à Robin Horgan un ferme Spoletta. Il faudra entendre dans un rôle plus développé que Sciarrone le jeune baryton Thomas Isherwood, bien pourvu, de même que Katie McDonald, fort probante en Berger.

Au pupitre du BBC Concert Orchestra, Mark Shanahan [lire nos chroniques de Jenůfa, L’affaire Makropoulos et The rape of Lucretia] soigne la partition, parfois au détriment du sens dramatique. La tension s’enfle, sans pourtant aboutir conjointement à l’intrigue et à sa mise en scène. C’est un peu anémié pour Tosca.

HK