Recherche
Chroniques
Tosca
opéra de Giacomo Puccini
Nous ne sortions guère enthousiaste du premier acte. Certes, la direction de Jean-Yves Ossonce avait su donner à la musique de Puccini l’espace expressif qui lui est nécessaire. Bénéficiant d’une fort appréciable homogénéité des cordes, le travail de fosse, tout de souplesse et de sobriété, fit entendre de belles qualités chambristes, notamment sur la prière du Sacristain (Angelus Domini nuntiavit Mariae), une série de quintes élégamment ciselées des flûtes accompagnait le Dammi i colori et l’on retient encore la somptuosité des mesures accompagnant telle sortie de Tosca. Cela ne suffit cependant pas à compenser les inégalités de la distribution et une mise en scène dont le classicisme un peu routinier se double de quelques incohérences.
Il fallut encore toute la présence vocale et scénique de Nicola Beller Corbone (Tosca), touchante de justesse, d’espièglerie amoureuse et d’inquiétude jalouse, l’interprétation, sobre et comme harassée, d’Antoine Garcin (Angelotti), tout autant que l’élégant travail vocal des Chœurs et maîtrise de l’Opéra de Tours pour que la mise en place parfois dramatiquement poussive de l’intrigue laisse espérer quelque chose en son dénouement.
Mario Caravadossi est décidément bien affaibli par les difficultés d’émission, d’expression et de jeu de Luca Lombardo. Aussi attendions-nous beaucoup de Scarpia, trop sans doute. Un peu en dessous des potentialités de son rôle, ni bête brute, ni pervers narcissique, il fait plutôt songer à un commodore de Province, petit caporal trop vite monté au pouvoir, trop agité par le rôle qui lui incombe et se demandant sans cesse s’il sera ou non à la hauteur de la cruauté qu’il inspire : sommé, pour tout dire, d’en rajouter, fût-ce à ses propres yeux. Dangereux pour ceux qu’il martyrise, mais terrifiant pour nous, jamais. La voix, encore froide et parfois un peu pincée, de Peter Sidhom, est souvent dominée par un orchestre plus résolument brutal, mais passant pourtant à côté de l’amble dramatique dans lequel le crescendo du Te Deum lie exaltation érotique et religieuse. Et l’on aurait pu penser mieux occuper un espace scénique, toujours simple, mais bellement habillé par les lumières de Marc Delamézière et les décors de Nathalie Holt, qu’à laisser s’achever l’acte sur le rire grotesque du baron, juché au sommet des échafaudages du peintre – mais que vient-il donc faire là ?
Cette mauvaise impression s’évanouit néanmoins rapidement au cours des deux actes suivants. Si Scarpia ne s’y montre jamais aussi féroce qu’on peut l’espérer, il investit néanmoins un jeu cohérent, tout en violence névrotique, traversé de pulsions érotiques incoercibles et servi par un timbre bien plus chaud. Ronan Nédélec y sert un Sciarrone convainquant.
L’éblouissante Tosca de Nicola Beller Corbone [lire notre chronique nantaise du 23 septembre 2009] trouve le degré de brutalité propre à nourrir la résolution féroce et désespérée qui la mènera au meurtre. La scène de torture – Orsù, Tosca, parlate – et un Vissi d’arte poignant de sobriété atteignent une intensité illuminant en retour l’ensemble du spectacle. Le timbre riche et charnel du soprano, ses graves capiteux, la clarté et la puissance de l’émission tout autant que l’intelligence de son jeu et la variété du spectre émotionnel qu’elle sait incarner se marient avec bonheur au toujours très beau travail de l’Orchestre Symphonique Région Centre.
Les mesures suivant l’assassinat de Scarpia (Or gli perdono) se vêtent d’une moire presque douloureuse, tandis qu’en portant le thème d’E lucevan le stelle à un niveau d’intense désespérance, les instrumentistes ouvrent à Mario un espace suffisamment large pour que soient compensées, au moins vocalement, les faiblesses du premier acte. Enfin, la sauvage brusquerie des dernières mesures finit d’emporter l’adhésion.
MD