Chroniques

par katy oberlé

Tosca
opéra de Giacomo Puccini

Opéra national du Rhin, Strasbourg
- 27 juin 2013
Tosca (Puccini) : reprise à Strasbourg de la production Carsen de 1991
© alain kaiser

Plus que le prototype des ex-futures mises en scène du (trop ?) prolifique Robert Carsen, voyons dans sa Tosca de 1991, « liftée » pour la scène strasbourgeoise, la quintessence d’un paradoxe : celui de la diva désirée-inaccessible, Vierge sensuelle ou courtisane intouchable, « organe sexuel secondaire » magnifié en Gloire céleste qu’habitent une indécente marmaille d’anges lubriques et tout un banc de prélats libidineux. Voyons-y encore la troublante confrontation de l’élan d’excellence des métiers de l’opéra à une trivialité parfois des plus tragi-comiques. Au spectateur, tout doit être idéal, quel que soit le chemin pour en arriver là. Avouons ce fin regard de biais d’une mise en abîme du genre, via le gros appareillage du Septième Art, et l’on aura presque tout dit de la virtuose mise en scène de celui qui, depuis l’arrivée in loco d’un nouveau directeur, occupe l’Opéra national du Rhin (comme notre Kaiserpalast put l’être cinq tristes années durant).

Le maestro de cette cinquième représentation (les deux dernières sont prévues à La Filature de Mulhouse, les 5 et 7 juillet) rencontre en fosse le répondant nécessaire à sa vision généreusement lyrique et soigneusement ciselée de Tosca. Contre toute attente l’Orchestre Philharmonique de Strasbourg se révèle fin puccinien, sous la battue tout à fait lisible, fluide même, de Daniele Callegari, pour une lecture qui déploie un grand sens dramatique. À l’instar de ses interprétations de Busoni, par exemple, ou de Cilea, et Martucci, sans oublier les verdiennes, le chef milanais met à jour la sensualité de la partition qu’il ne presse jamais : bien au contraire, il la transcende par un souffle ample, en grand mahlérien qu’il est.

Le casting laisse sur sa faim… bien que les « petits rôles » satisfassent. Le ténor John Pumphrey donne un Spoleta clair, bien canalisé. Alexander Schuster est un Sciarrone ferme, robuste même, et Frédéric Gonçalves un Sacristain sympathique qui ne recourt pas aux habituelles grimaces. Kurt Gysen affirme un Angelotti solide, voire valeureux. Jusque-là, tout va bien. Car pour camper Scarpia, encore faut-il une autre stature vocale que celle de Franck Ferrari ! L’aigu n’est jamais juste, le médium a la tremblote… quant au grave, je ne vous en dirai rien, puisqu’on ne l’entend pas. Quoique d’un format relativement étroit, la voix d’Andrea Carè séduit d’emblée par un timbre attachant, mais montre bientôt une émission « truquée », comme pour masquer on-ne-sait-quoi (fatigue, méforme, manque d’assurance, trac mal géré ?...) ; des coups de glotte disgracieux viendront bousculer E lucevan le stelle. Enfin, en habituée du rôle-titre – qu’elle a notamment chanté à Salzbourg dans l’épouvantable production d’Heller-Lopes –, Amanda Echalaz livre une Floria de braise, parfaitement convaincante.

Fort occupé comme il l’est, Robert Carsen – un metteur en scène d’aussi grand renom n’a guère à s’encombrer de la scène strasbourgeoise, partant que M. Clémeur n’est pas MM. Pereira, Homoki et Joel, cela se comprend – a confié à John La Bouchardière la « maîtrise d’ouvrage » de cette énième reprise. La « réalisation » (comme dit la brochure) en sort bien réglée… mais exclusivement bien réglée, sans cette acuité aux présences humaines qui ont à faire ensemble le spectacle.

En deux décennies les procédés de Carsen se sont apparentés à des petites manies. Faut-il pour autant considérer son épuisant arsenal de tics comme le trait d’un génie encore tout frais qui se serait « oublié » par la suite ? Sans doute la chose est-elle moins simple, l’artiste continuant aujourd’hui de produire quelques rares bijoux parmi d’innombrables ratés. Alors ? Il travaille trop, voilà tout. Plutôt que de concentrer son indéniable talent, il le galvaude, le gâche, l’escamote, redis, rumine et remâche, avec l’active complicité de décideurs sans discernement qui, croyant l’avantager, n’invitent in fine que ses pires travers. Peu leur chaut : was man in die Suppe gebrockt hat, muss man auch ausessen – au public de méditer la parole des anciens.

KO