Chroniques

par bruno serrou

Tout Mahler, quatrième programme
Daniele Gatti mène l’émotion à son comble

Théâtre du Châtelet, Paris
- 29 avril 2010
© marco brescia | teatro alla scala

Commencé à l’automne dernier [lire nos chronique du 29 octobre, du 17 décembre 2009 et du 4 février 2010] et devant se conclure le 1er décembre 2011, le cycle Mahler proposé par l’Orchestre National de France et son directeur musical, Daniele Gatti, au Théâtre du Châtelet, atteint un premier sommet avec la brillante Symphonie en ré mineur n°3 proposée ce jeudi. Le quatrième volet de l’intégrale des symphonies donnée dans le cadre des festivités du centenaire de la mort du compositeur autrichien (18 mai 1911) restera dans les annales comme une soirée exceptionnelle, une réussite majeure de l’orchestre français et de son chef italien, au même titre que le Klagende Lied qui inaugurait la série.

La Troisième Symphonie est la plus longue de toutes les partitions de Mahler, avec ses cent dix minutes réparties en six mouvements qui constituent deux parties, le mouvement liminaire ayant à la fois la dimension et la structure d’une symphonie entière. Originellement conçue en sept mouvements (le septième sera intégré à la symphonie suivante), cette œuvre immense plonge dans la genèse de la vie terrestre, avec un morceau initial qui conte l’émergence de la vie éclose de la matière inerte, magma informe aux multiples ramifications et en constante évolution, et qui contient en filigrane la seconde partie entière, cette dernière évoluant par phases d’évocation toujours plus haute : les fleurs, les animaux, l’Homme et les Anges, enfin l’Amour. Le royaume des esprits ne sera atteint que dans le finale de la Quatrième Symphonie, originellement pensé comme conclusion de cette Troisième (la Quatrième sera donnée le 17 juin).

Du chaos initial jusqu’aux déchirements de l’amour qui conclue la symphonie en apothéose sur des battements épanouis de quatre timbales, comme autant de battements de deux cœurs humains épris l’un de l’autre et transcendés par l’émotion, l’évolution de l’œuvre est admirablement construite, même si les diverses séquences qui s’enchevêtrent dans le premier morceau sont parfois trop sèchement différenciées, ce qui instille un aspect légèrement décousu. Mais les élans insufflés par Gatti portent en germes l’extraordinaire expressivité des mouvements qui suivent, du moins une fois franchie l’étape du Menuet, Menuet que le chef vide de toute substance, surlignant les intentions du compositeur qui entendait ménager ici une plage de repos après les déchirements et soubresauts précédents.

Le somptueux Scherzo, avec cor de postillon obligé dans le lointain, est magnifique d’onirisme, les bois gazouillant avec une fraîcheur communicative. Seul regret : une section de cors qui ne joue pas suffisamment pianissimo, au point de couvrir le soliste placé dans la coulisse. L’émotion atteint une première apnée dans le Misterioso du lied O Mensch, sur un poème du Zarathoustra de Nietzsche, avec un orchestre grondant dans le grave dans une infinie douceur, enveloppant la voix charnelle et tendre du mezzo-soprano hollandais Christianne Stotijn, émergeant du milieu de l’orchestre, et conduisant à la joie des Anges, spatialisée tout autour : les femmes au centre, derrière la percussion, et les enfants répartis derrière les premiers violons et les altos.

Enfin, Daniele Gatti mène l’émotion du Finale à son comble, dans une plage confondante de beauté, tour à tour contenue et exaltée, ménageant un immense crescendo qui conduit à la plénitude de l’amour conquis de haute lutte, entre doutes et passions. Ce soir, l’Orchestre National de France se place au sommet de la hiérarchie des phalanges symphoniques internationales.

BS