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Chroniques
Tra rondò e tournedos
Quarantième anniversaire de la collaboration de Pier Luigi Pizzi
Si le Rossini Opera Festival (ROF) n’a pas réussi tous les galas de son histoire récente, la célébration des quarante ans de participation de Pier Luigi Pizzi est une fête enthousiasmante à tous points de vue. Depuis Tancredi en 1982, jusqu’à Moïse et Pharaon l’année dernière [lire notre chronique du 6 août 2021], le scénographe et metteur en scène milanais a signé ici treize productions et marqué de sa présence vingt-deux éditions (en comptant les reprises de spectacles), ainsi que ce concert qu’il règle lui-même, aidé par Massimo Gasparon. En forme de clin d’œil, l’intitulé du concert, Tra rondò e tournedos (Entre rondo et tournedos), penche beaucoup plus vers le chant que vers la gastronomie, évoquée à un moment par la photo d’un tournedos Rossini dont Pizzi détaille les ingrédients.
En déroulant ses spectacles, illustrés par de magnifiques photos d’archives sur l’écran en fond de plateau, le spectateur peut se remémorer les fabuleuses soirées qu’il a vécu à Pesaro… ou regretter celles qu’il n’a pas vues ! Il ne s’agit pas seulement d’une nostalgique soirée diapos entre amis, présentée au micro par l’artiste dialoguant avec le musicologue et écrivain Luigi Ferrari, puisqu’une sélection d’airs ponctuent aussi la chronologie des opéras. Présent cette année au ROF pour Le comte Ory [lire notre chronique du 16 août 2022], Diego Matheuz est placé aux commandes de l’Orchestra Sinfonica Nazionale della RAI, tandis que les choristes du Teatro Ventidio Basso sont répartis sur scène, de part et d’autre de l’écran central.
L’histoire commence avec Tancredi où, quarante ans après Lucia Valentini Terrani, Maria Kataeva chante, d’une voix musicale, profonde et agile, la cavatine d’entrée Tu che accendi questo core... Di tanti palpiti. Elle paraît dans le costume du personnage, sur fond d’animation vidéo de bord de mer sur ciel bleu. Ce titre pose régulièrement la question du finale, du moins depuis la redécouverte d’une fin tragique dans les années soixante-dix. Ce soir, les deux versions sont interprétées : d’abord la triste conclusion où Tancredi expire dans un soupir devant un ciel d’orage, puis le lieto fine où les personnages principaux se tiennent par la main.
Pizzi réalisait l’année suivante Mosè in Egitto, évoqué par le quatuor Mi manca la voce, puis Le comte Ory en 1984, duquel le baryton Giorgio Caoduro chante l’air de Raimbaud, Dans ce lieu solitaire, avant que les choristes en pèlerine viennent défiler joyeusement sur le proscenium – Buvons, buvons soudain ! L’utilisation de ce procédé est d’ailleurs fréquente au cours du concert, son maître d’œuvre déclarant que la venue des solistes au plus près du public est porteuse d’une émotion supplémentaire pour le spectateur et d’un surcroît de stimulation pour l’interprète. On passe à Maometto II avec l’une des séquences les plus fortes de la soirée : la basse Samuel Ramey en photo en 1985, tous ses guerriers pointant l’épée vers lui, et Nahuel di Pierro dans le même costume, entrant en scène lui aussi porté par ses compères. La voix royalement timbrée, l’autorité et la souplesse du chant font revivre le mythe, le temps du grand air de Sorgete, in sì bel giorno. Avant cela, Aya Wakizono interprétaitavec émotion la prière d’Anna, Giusto ciel, in tal periglio.
Restons dans l’opera seria avec Bianca e Falliero, complètement redécouverte en 1986 (en compagnie de Katia Ricciarelli, Marylin Horne, Chris Merritt). En 2022, Maria Laura Iacobellis se confronte à la difficile conclusion de l’ouvrage, Teco resto: in te rispetto, air très fleuri que l’on entend aussi à la fin de La donna del lago (Tanti affetti). Le soprano développe encore plus d’abattage sur ses colorature en deuxième partie de concert, dans l’air de Cerere, Ah non potrian resistere, extrait de la cantate Le nozze di Teti e di Peleo, également utilisé pour le rondo final de La Cenerentola (ou encore Cessa di più resitere, air d’Almaviva du Barbiere di Siviglia). Pendant la campagne de travaux entrepris au Teatro Rossini, en 2001, la cantate était donnée (par Rockwell Blake, Patrizia Ciofi, Ewa Podles) dans les jardins de la Villa Caprile, dans un théâtre provisoire conçu par Pizzi, précisément. La première partie se termine avec Guillaume Tell qu’il réalisa en 1995 et dont Eleonora Buratto interprète une somptueuse Mathilde. La romance Sombre forêt s’avère détaillée avec goût, une qualité de français correcte et une voix large, des aigus précis et quelques-uns magnifiquement filés. Le final de l’opéra Tout change et grandit en ces lieux conclut avec grandeur, choristes et solistes projetant de glorieux aigus.
Aya Wakizono est sollicitée plusieurs fois après l’entracte, d’abord pour l’air de Clarice, Quel dirmi, oh Dio! non t’amo... Eco pietosa su queste sponde de La pietra del paragone, dont l’extrême netteté de définition des photos de la production (2002, reprise en 2017) donnent l’illusion du vrai décor sur scène. Cette qualité graphique est aussi présente pour les photos du Barbiere di Siviglia – titre abordé par Pizzi à l’âge de 88 ans [lire notre chronique du 13 août 2018] ! –, évoqué ce soir par le baryton Giorgio Caoduro dans Largo al Factotum, puis par le rondo de L’inutile precauzione de Rosina, l’air Contro un cor che accende amore dans la seconde édition critique d’Alberto Zedda, avec les brèves interventions du ténor Matteo Roma en Almaviva. Un autre chœur d’ampleur termine l’affiche, la prière Des cieux où tu résides extraite de Moïse et Pharaon, embellie par l’image de grise mer d’huile sur ciel blanc qui provient du spectacle monté en 2021. Les choristes rejoignent le centre du plateau et les protagonistes – Nahuel di Pierro, Eleonora Buratto, Matteo Roma et Monica Bacelli – ouvrent leurs bras et paumes de mains, pour une conclusion de caractère mystique.
Après l’ovation du public et les remerciements pour ses fabuleux services rendus – Ernesto Palacio, le surintendant du ROF, précise que d’autres participations du metteur en scène sont prévues dans le futur –, le maire de Pesaro, Matteo Ricci, remet à Pier Luigi Pizzi le titre de citoyen d’honneur de la ville. Au bilan, une remarquable soirée qui, ayant pour sujet l’histoire du Rossini Opera Festival, y entre illico elle aussi.
IF