Chroniques

par bruno serrou

transcendé par Hartmut Haenchen
Beethoven, Martinů et Schnittke par l’Orchestre de Paris

Salle Pleyel, Paris
- 19 mai 2010

L’Orchestre de Paris accueillait pour la première fois, cette semaine, le chef allemand Hartmut Haenchen. Musicien d’une élégance rare, il s’est imposé à Paris dès 2006 dans la fosse de l’Opéra par de remarquables Salomé, Capriccio, Parsifal, Lady Macbeth de Mzensk et Wozzeck, ce dernier ouvrage en ouverture de la présente saison. Gerard Mortier vient de le choisir parmi les chefs d’orchestre invités privilégiés au Teatro Réal de Madrid à partir de la prochaine saison. La direction magistrale de ce magnifique artiste, né à Dresde en 1943, a suscité l’une des plus belles soirées de l’actuelle saison de la phalange parisienne qui n’est pourtant pas avare en prestations de qualité.

Le geste large, précis et engageant, Haenchen brosse un émouvant Mémorial pour Lidice, court et déchirant poème symphonique au caractère funèbre que Bohuslav Martinů (1890-1959) composa en 1943, quelques mois après le massacre par les nazis des habitants du village tchèque de Lidice. Cet adagio tient des trop rares cris lancés par des compositeurs en écho aux horreurs de la Seconde Guerre mondiale, dont le sommet est Un Survivant de Varsovie que Schönberg composa en 1947.

Mais c’est dans la Cinquième Symphonie de Beethoven, œuvre pourtant si rabâchée que l’on y va plus ou moins à reculons, que l’Orchestre de Paris s’est imposé, comme s’il chantait dans son jardin. Sous l’énergique impulsion de Haenchen le Magicien, les musiciens se sont donnés comme jamais, jouant avec un enthousiasme transcendant et une précision sans failles pour exalter des sonorités d’une sereine homogénéité portées par une rythmique conquérante, une conviction et une assurance communicative. Cette performance restera assurément dans les annales de l’orchestre, rappelant ses affinités avec Beethoven venues de la première intégrale des symphonies donnée au début du XIXe siècle sous la direction de F.-A. Habeneck à la tête de son ancêtre de la Société des Concerts du Conservatoire (fondé en 1828).

Au centre du programme, le Concerto pour alto et orchestre d’Alfred Schnittke (1934-1998). Cette partition, composée en 1985 sur un matériau thématique s’appuyant sur le nom de son dédicataire, Yuri Bashmet, est consternante de conformisme, dégoulinante de pathos. Et ce n’est pas la relative originalité de l’instrumentarium réuni pour l’occasion - pas de violons, reste des cordes par 8, bois par 3, cuivres par 4, tuba, timbales, percussion, harpe, célesta, piano, clavecin - qui en peut modifier l’impression de conservatisme effréné. Mais la musicalité de Tabea Zimmermann, l’ardente beauté de sa palette de timbres ont heureusement sauvé ces pages de la léthargie par des sonorités de braise s’épanouissant de l’archet d’airain de cette magnifique artiste et par un Hartmut Haenchen faisant tout son possible pour dynamiser l’œuvre en la théâtralisant au maximum.

BS