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Chroniques
Treemonisha
opéra de Scott Joplin
Cette nouvelle production du Châtelet est l'histoire d'une revanche. Celle d'un musicien qui tenta durant dix ans de faire jouer son œuvre-maîtresse, grande pièce lyrique en trois actes, Treemonisha. Faute de la voir éditée ou produite, Scott Joplin dut se contenter d'une impression de la partition à compte d'auteur et d'une représentation privée en réduction piano, avant de mourir sans voir son rêve réalisé. En 1911, voir un Noir composer un opéra, « s'attaquer à l'inviolable enceinte blanche du grand opéra », était inenvisageable, comme le constate Véra Brodsky Lawrence. Depuis cette époque, il eut Martin Luther King, et aujourd'hui qu'un président Noir dirige les États-Unis, on a d'avance envie, pour le symbole, d'aimer follement cette œuvre de Scott Joplin, de savourer cette revanche de l'histoire.
L'objectivité dicte pourtant un autre jugement. S'il ne fait pas de doute que Joplin ait excellé dans le ragtime (on a tous en mémoire la mélodie célébrissime du film L'Arnaque), Treemonisha est un spectacle plaisant mais inégal. La faute en revient d'abord au livret : bien que les thèmes soient intéressants (éducation contre superstition, émancipation de la femme, pardon, etc.), l'argument est un peu sommaire.
Dans une plantation de l'Arkansas, en 1884, Treemonisha, trouvée dans un arbre (d'où son prénom, issu de tree) par Ned et Monisha, a bénéficié d'une instruction et lutte pour arracher les siens aux superstitions entretenues par les sorciers Simon, Luddud et Zodzetrick. Aidée de son fiancé Rémus, elle réussit en une journée à faire triompher la raison et la morale sur l'obscurantisme. À vouloir trop démontrer, Joplin, qui écrivit le livret en se servant de réminiscences autobiographiques (il a reçu une éducation musicale classique grâce à la famille blanche chez laquelle sa mère travaillait), manque peut-être du recul qui aurait permis de donner plus de chair à son livret.
La musique souffre du même genre de défaut.
Voulant prouver ses ambitions opératiques, Scott Joplin balance constamment entre facture européenne (notamment l'ouverture « grand opéra »), le ragtime et le gospel. De cette hétérogénéité, la direction d'orchestre se ressent. À la tête de l'Ensemble Orchestral de Paris, Kazem Abdullah semble hésiter en permanence sur le caractère qu'il faut accorder à la partition, et privilégie malheureusement souvent la grandiloquence, jouant trop fort et couvrant parfois les voix.
Malgré tout, l'esprit de troupe, l'entrain des chœurs, les couleurs vives de la scénographie imaginée par Roland Roure et les chorégraphies de Bianca Li sauvent la mise et font oublier ces désagréments. On retiendra particulièrement la voix saine et colorée d'Adina Aaron dans le rôle-titre, la classe de Krister St.Hill (Parson Alltalk) et de Willard White (Ned) et la présence de Grace Bumbry (Monisha) en dépit de sa voix fatiguée : à soixante-treize ans, elle en impose encore !
IS