Chroniques

par gilles charlassier

Tremplin / Cursus 2
Pelzel, Bulfon, Herrmann et Verunelli

Centre Pompidou, Paris
- 23 octobre 2010

Le public, de tous âges, prend place dans les fauteuils rouges de la grande salle du Centre Pompidou, tandis que nous compulsons le programme du concert. Nous sommes frappés d’emblée par une particularité quant aux auteurs des notices d’introduction aux œuvres qui vont être données : ce sont les compositeurs eux-mêmes qui les ont rédigées. On nous entretient des éléments de recherche formelle et expressive qui ont inauguré l’écriture des partitions que nous allons entendre. Les explications sont tantôt des notations précises et sèches, tantôt des réflexions plus ou moins lyriques qui donnent une certaine idée des intentions du compositeur et émoustille notre curiosité quant au rapport entre la genèse et la réalisation musicale.

L’une des attributions de l’Ircam et de l’Ensemble Intercontemporain étant de promouvoir de nouveaux talents sur la scène de l’avant-garde informatique et musicale, c’est tout naturellement dans le cadre de deux dispositifs de soutien artistique et pédagogique que le concert propose deux créations. Le premier, Tremplin, est le résultat d’un choix du comité de lecture réunissant des membres des deux institutions ; il a élu Quand tu étais comme avec moi dans les choses éphémères pour alto solo et ensemble instrumental de Stefano Bulfon. De l’aveu du compositeur, ce titre provient d’un texte de la poétesse israélienne Zelda Schneurson. Nous sommes donc en terrain connu, où la poésie, de préférence mystique, est appelée à la rescousse pour éclairer la signification des notes qui se succèdent au long de la partition divisée en deux parties : Case di vuoto et di vento et Maisons de lierre. Dans les demeures de vide et de vent, les déflagrations des tutti alternent avec des esquisses mystérieuses de l’alto, soutenues par un lit d’archets chuintés. C’est sur les sonorités amorties du piano, semblables à l’écoulement de gouttes de pluies, que s’évanouissent ces premiers logis. Les seconds sont le théâtre d’une lutte tumultueuse de l’alto face à la résistance de la masse orchestrale qui devient peu à peu combat conjoint contre le vide et l’événement pur qui survient avec la cadence finale, laquelle reprend les motifs de la partition et les résume jusqu’à leur ultime résolution dans le silence. C’est dans cette limpidité du chant du soliste que s’exprime enfin la beauté herméneutique espérée.

Le second dispositif de soutien à la création, Cursus 2, dispense un encadrement pédagogique, procuré ici par Éric Daubresse, dans la réalisation d’une œuvre au sein de la formation à la composition et à l’informatique musical de l’Ircam. Francesca Verunelli a écrit une pièce d’une vingtaine de minutes, Play, pour ensemble instrumental et électronique. On assiste à une dialectique entre des phrases indécises et des textures percussives, soutenues par le piano et l’électroacoustique se fondant l’un dans l’autre. Le traitement maîtrisé des strates de la matière musicale compense une écriture pour les bois limitée au forte. On retiendra l’accordéon exprimant une tension engloutie mais qui ne capitule pas. Le morceau s’achève dans une furie rythmique jubilatoire où l’effectif instrumental éclabousse ses sonorités métalliques. Les applaudissements se sont faits chaleureux pour cette page lisible où l’on peut regretter une certaine prolixité juvénile.

En début de concert a été donnée une pièce de Michael Pelzel, …along 101…, écrite pour ensemble. Le compositeur explique de manière savante le procédé d’écriture générateur de la partition, qui est un mélange de passacaille et de morceau à variations. A un prélude où prédominent les accords plaqués et les grattements de cordes des violoncelles et des contrebasses « succède une partie mécanique complexe débouchant sur une fin ouverte ». Le retour au tempo apaisé du début renseigne l’auditeur qu’il arrive à la coda d’une œuvre en forme d’arche. Cette pièce de structure très classique s’achève sur un trait de clarinette basse à la rigueur académique.

La soirée se termine sur les Fiktive Tänze d’Arnulf Herrmann. Le texte de présentation de ces deux cahiers de quatre études de chorégraphie orchestrale est d’une claire concision qui trouvera sa confirmation dans la performance musicale. La première série, écrite pour un ensemble mêlant cordes et vents, expérimente des amplifications et des allègements de consistances et de rythmes pleins d’esprit. La seconde, pour harmonie seule, dévoile des sonorités que Janáček n’aurait pas reniées. Les rythmes obsédants, l’individualisation des pupitres, les gazouillis des clarinettes, les accents solaires semblent dire l’héritage du compositeur de Jenůfa dans une recherche expressive et vigoureuse.

Susanna Mälkki fait preuve d’une précision impeccable à la tête de l’EIC.
La clarté de sa battue fédère autant musiciens que spectateurs qui disposent ainsi d’une précieuse boussole dans leur exploration des univers acoustiques déployés.

GC