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Chroniques
Trio Busch
Antonín Dvořák et Joseph Haydn
Pour la Chapelle musicale Reine Élisabeth, cette soirée est un moment symbolique et émotionnel intense. Une nouvelle page se tourne qui ouvre ce lieu jusqu’alors intime, fermé sur lui-même. Changement radical de dynamique : le grand public entre dans ses murs – une sorte de révolution… Le restaurant est à sa disposition, une librairie, un bar et, surtout, une saison de concerts publics, MuCH Music, dont c’est aujourd’hui la première. Tout un chacun peut désormais venir ici assister à un concert. Avant et après ces concerts, il peut partager un peu la vie de la maison et de ses pensionnaires, grâce à une nouvelle infrastructure d’accueil. L’endroit est cosy, convivial et confortable.
Ce soir, en présence de la RTBF dont les auditeurs entendrons l’événement en direct (Musiq3), nous découvrons trois jeunes musiciens : le violoniste néerlandais Mathieu van Bellen (vingt-sept ans), le violoncelliste Ori Epstein (vingt-deux ans) et son frère le pianiste Omri Epstein (vingt-neuf ans), tous deux nés à Tel Aviv. Ils forment le Trio Busch, nom choisi en hommage au célèbre violoniste et compositeur allemand Adolf Busch (1891-1952), l’un des maîtres d’Yehudi Menuhin. Le Trio Busch, si jeune qu’il soit, fut déjà signalé à l’attention des professionnels et du public par de nombreux prix internationaux. L’institution belge qui l’accueille actuellement en résidence se lance avec le label Alpha (Outhere) dans le vaste projet d’enregistrer une quasi-intégrale de l’œuvre chambriste d’Antonín Dvořák. Les premières gravures commenceront dès le mois de décembre par le Trio en sol mineur Op.26 n°2, auquel s’ajouteront dans le courant de l’année prochaine les quatuors à clavier, avec la participation de l’altiste Miguel da Silva et, nous l’espérons vivement, le Quintette en la majeur Op.81. Ce projet prendra environ quinze mois, avec certaines œuvres qui circuleront dans le cadre de La Belle Saison, concerts en réseau lancés l’an dernier au Théâtre des Bouffes du nord [lire notre chronique du 9 février 2015], avec une sortie discographique prévue pour la fin de l’année 2016.
Sous une lumière délicatement feutrée, nous entrons dans la salle de l’Aile de Launoit, nouvel édifice inauguré en janvier, offrant quelques vingt-huit studios de résidence [lire notre dossier]. Derrière les musiciens se laisse deviner une majestueuse futaie qui à elle seule rappelle les bois arborés par la maison historique de 1939, à l’instar du traitement de la lumière, d’ailleurs. Nos jeunes gens commencent par le Trio en sol majeur Hob.XV:25 de Joseph Haydn. D’emblée frappe l’acoustique parfaitement équilibrée du lieu, jamais sèche, subtilement sertie dans une légère réverbération de bon aloi, idéale pour la musique de chambre – félicitons l’expert Rémi Raskin. Sans mollesse ni condescendance est engagé l’Andante initial, violon gracieux mais jamais « chichiteux », piano souplement respiré, aimable violoncelle enfin. À la discrète méditation un rien mélancolique du Poco adagio succède le bondissant Presto, moins facile qu’on pourrait le croire, ici d’une clarté salutaire.
Ce programme brille d’une cohérence non revendiquée qu’il faut applaudir, entre le caractère « hongrois » du final haydnien et l’inspiration folkloriste du troisième mouvement du Trio en fa mineur Op.65 n°3 de Dvořák. Le motif introductif de l’Allegro ma non troppo (violon et violoncelle) quitte immédiatement cette Aufklärung bénie et insuffle une brume secrète où l’entrée du piano sculpte un relief tout romantique. Les musiciens ne mésusent cependant pas de contrastes abusifs ni d’une pédalisation grasseyante, cultivant plutôt vigueur, voire ferveur, santé et expressivité. Une lumière simple habite leur interprétation de l’Allegretto grazioso, gentil trio enlevé hérité de Schubert dans une amorce brahmsienne. Avantageusement inspirée, cette approche sensible dispose d’une riche palette et d’une technique instrumentale indiscutablement obéissante. Le voilà, ce Poco adagio paysan : drue, l’exécution en recrée la simplicité d’exposition tout en servant habilement la sophistication de son développement, nuances soigneusement conduites. Pour conclure, les contrastes se déchaînent dans l’Allegro con brio, sous la verve robuste du Trio Busch, sans déroger à la musicalité. Bravo !
BB