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Chroniques
Trio Catch
Márton Illés, Isabel Mundry, Gérard Pesson et Claude Vivier
Le portrait de Claude Vivier entamé par le Festival d’automne à Paris se poursuit lors de son édition 2019 au fil de deux rendez-vous. Avant le concert monographique du 18 novembre qui fera entendre Journal et Shiraz, deux opus de 1977, le Trio Catch est, pour ce moment coproduit avec ProQuartet, accueilli au Théâtre des Abbesses dont la bonne acoustique surprend alors que le lieu n’est pas initialement dédié à la musique – voilà une qualité si rare à Paris qu’il le fallait bien souligner. Du compositeur québécois nous entendons deux duos de 1975, entre lesquels est joué Catch Sonata.
Conçue par Gérard Pesson pour le Trio Catch qui la créa au printemps 2016 à Witten, cette page enchaîne trois brèves séquences dont les titres renvoient « au jeu de la bobine décrit par Sigmund Freud quand il observait son petit-fils W. Ernst jouant au yoyo. Fort/Da étaient les premiers mots de ce très jeune enfant mimant symboliquement par ce mouvement compulsif de la bobine au bout de son fil l’éloignement ou le rapprochement de sa mère. Freud théorise alors que c’est un traumatisme que l’enfant répète par ce jeu », précise le compositeur (brochure de salle). À l’aide d’un piano préparé, tour à tour joué sur le clavier, le cordier ou la caisse – de même que Boglárka Pecze fait sonner les clés de sa clarinette et que l’archet d’Eva Boesch investie le violoncelle sous le tendeur –, Pesson invente une sonorité étrange, venue d’un ailleurs intime qui évoque un presque-piano-jouet à la saveur savamment biscornue. Il est le point de départ d’un jeu qui, pour parfois se suspendre, demeure incessant, dont les protagonistes singent les moyens expressifs des autres. Un insaisissable harpistique rassemble ces désincarnations en un flux, celui du déroulé, selon un extrême raffinement des timbres, tandis que la régularité rythmique, en sections scandées pianissimo, jugule l’angoisse par un rite très construit.
De part et d’autre de Catch Sonata, Vivier. Dans la même année 1975 se succèdent à son catalogue huit musiques chambristes de quelques minutes que l’auteur n’eut cure de désigner autrement que par leur effectif, à l’exception d’Hymnen an die Nacht pour soprano et piano. Ainsi de Pour guitare, de Pianoforte et d’Improvisation pour basson et piano, comme des quatre Pièces en duo choisies ce soir – autant de réponses à une commande du Tremplin international de Montréal. Pour ouvrir la soirée, la violoniste Susanne Zapf rejoint Boglárka Pecze dans des répliques doublées à la pulsion véhémente, voire belliqueuse, non dépourvues de quelque théâtralité secrète. Là encore l’on rencontre bientôt des attributions violonistiques à la clarinette et inversement, avant un geste conclusif enlevé façon Stravinsky du Sacre (ou Messiaen ou Boulez – Le merle noir et Sonatine pour flûte et piano). Après un prélude qu’on dire furioso frenetico, la Pièce pour violoncelle et piano déploie un lyrisme recouvré d’un temps ancien qu’elle alterne avec les réminiscences de l’augural soubresaut et certains flottements suspendus dans les harmoniques. Passée une expressivité exacerbée, à une élégie violoncellistique interrompue succède, au piano, un chemin d’accords – d’une grande douceur sous les doigts de Sun-Young Nam.
C’est par Scene Polidimensionali X. « Vonalterek » pour clarinette, alto et piano (2005) que nous faisions connaissance, il y a une dizaine d’années, avec le monde fascinant de Márton Illés [lire notre chronique du 22 mars 2009]. Depuis, le compositeur hongrois, installé en Allemagne, a développé sa manière à la faveur de pièces exigeantes et inspirées, comme Ez-tér fort apprécié aux Donaueschinger Musiktage [lire notre chronique du 22 octobre 2017]. Une série d’œuvres imaginée dans des « sonorités douces et claires, des teintes de pastel, des textures composées de champs de résonances transparents et sur des linéaments virtuoses », dit-il (même source), apparaît sous le titre générique Akvarell : allant toujours par trois mouvements, elles se déclinent pour clavecin (2011), pour clarinette (2015), pour clarinette et grand orchestre (2015), pour ensemble (flûte, clarinette, violon, alto, violoncelle, piano et percussion, 2018) ou pour grand orchestre (2019), tels que nous les saluions récemment [lire nos chroniques des 13 février et 8 juillet 2019]. Nous découvrons aujourd’hui celles pour clarinette, violon, violoncelle et piano, écrite pour Susanne Zapf et le Trio Catch qui les créèrent à Hambourg le 17 décembre 2017 – rappelons d’ailleurs que les musiciennes enregistrèrent (chez Col legno) ses In nomine VI et Rajzok III [lire notre chronique du CD]. Au geste pianistique liminaire, d’une couleur truquée, pour ainsi dire, répond un prolongement de la clarinette. Aucun doute : Illés [photo] est un génial inventeur de timbres vacillant dans l’impalpable, de rythmes souvent en déphasage, de nettes buées perceptives, toujours à exciter l’imaginaire de l’auditoire. Ici, tout corps musical est nerveux, en une essentielle tonicité, volontiers PPP. Un écho hypnotique conclu l’œuvre dans un faux immobilisme gelé.
Le concert s’achève avec Sounds, archeologies pour cor de basset, violoncelle et piano (2017-18) d’Isabel Mundry [lire nos chroniques de Liaison, de Mouhanad et de Traces des moments]. Tel que longuement exposé par la compositrice allemande dans la brochure, le projet, chargé de bons sentiments, semble présenter plus d’intérêt que sa réalisation. Peut-être n’étions-nous plus disponibles à rien, après les Aquarelles, c’est envisageable.
BB