Chroniques

par laurent bergnach

Trio Modulations et Quatuor Diotima
création du Quatuor n°2 de Michaël Levinas

création de Terres rouges de Misato Mochizuki
Musica / Cité de la musique et de la danse, Strasbourg
- 21 et 22 septembre 2006
le Trio Modulations joue Levinas au festival Musica de Strasbourg
© philippe stirnweiss

Pour sa vingt-quatrième édition, le festival Musica fait entendre comment la jeune génération gère les acquis du passé tout en inventant sa propre identité. Afin d’illustrer l’héritage musical, le Quatuor Diotima met en regard l’Opus 3 d’Alban Berg, composé en 1911, avec trois autres quatuors récents : le Quatrième de James Dillon (créé par les mêmes artistes, ici-même, l’an dernier), le Deuxième de Michael Levinas, donné en première française, et Terres rouges, une création de Misato Mochizuki.

Élève de Messiaen, fondateur de l’Itinéraire en 1974, inspirateur du mouvement spectral, enseignant et pianiste, Michael Levinas (né en 1949) est un compositeur dont toujours l’on se réjouit de retrouver les œuvres. Aujourd’hui, malheureusement, on reste sur sa faim. Sa grande polyphonie à huit voix se présente comme une longue plainte qui, en trois sections, s’enfonce dans la lenteur et la gravité. Le jeu sur les harmoniques donne progressivement un côté électrique à l’ensemble, pas inintéressant mais peu motivant.

En comparaison, le quatuor de Misato Mochizuki se révèle d’un foisonnement « baroque ». La jeune élève (née au Japon en 1969) de Mefano et Nunes est sensible à la transformation, la couleur, la nuance, le contraste. Après l’entrée solitaire du premier violon (Yun-Peng Zhao) et un rapide dialogue avec le second (Naaman Sluchin), les autres interprètes se manifestent (l’altiste Franck Chevalier et Pierre Morlet au violoncelle) dans une séquence d’un seul bloc où se succèdent différents rythmes et plusieurs techniques (pizzicati, unissons, col legno, frottements et tapotements, etc.) avec luxuriance.

Né à Glasgow en 1950, James Dillon pratique la cornemuse dans des ensembles traditionnels écossais avant d’étudier l’acoustique et la linguistique à Londres. Son Quatuor à cordes n°4 témoigne de cette évolution, avec une œuvre plus orchestrale que chambriste, aux accents folkloriques, fortement expressionnistes. Au fil d’attaques délicates ponctuées d’une subtile sauvagerie, les Langsam et Modéré d’Alban Berg (1885-1935) bénéficient d’une interprétation tout en souplesse et sensibilité, tonique et aérée, s’intégrant à ce programme courageux sans trop faire sentir leur grand âge.

Seconde École de Vienne, à nouveau, avec le concert du Trio Modulations qu’ouvrent les Six petites pièces pour piano (1911) d’Arnold Schönberg. Évoluant d’un jeu retenu vers plus de lyrisme, Hideki Nagano surprend par une rondeur de sonorité à laquelle il ne nous habitua guère – on retrouve cette option minutieuse et concentrée en milieu de programme, avec les Quatre pièces pour clarinette et piano (1913-1919) de Berg.

En prélude aux deux créations du lendemain sont jouées cinq œuvres de Bruno Mantovani. Métaphore musicale du désordre informatique, Bug (1999) exploite la volubilité naturelle de la clarinette, fébrile ou modérée, mettant en vedette Jérôme Comte, avec délicatesse et sens de la nuance. Hommage aux vins pétillants, Quelques effervescences (2006) expose un dialogue tantôt sage, tantôt vrombissant, hoquetant ou paniqué entre un piano riche en couleurs et – avant son solo Little Italy (2004) – l’âpreté de l’altiste Odile Aubouin. Cette âpreté et cette tension, on les retrouve dans des extraits des Quatre études pour piano (2003) où, après une Étude pour le legato tout en légèreté et gazouillis, on plonge dans celle pour mains alternées, presque terreuse et boulézienne. Avec son écriture brillante, son travail délicat sur la différentiation des textures ou la dynamique rythmique, pour ainsi dire, Da Roma (2004) réunit le trio au complet dans un final virtuose.

LB