Chroniques

par nicolas munck

Trio Steuermann
création du Klaviertrio de Johannes Boris Borowski

Maison Heinrich Heine / Cité internationale universitaire, Paris
- 24 novembre 2013
Johannes Boris Borowski, compositeur né en 1979, joué par le Trio Steuermann
© priska ketterer

Située en plein cœur de la Cité internationale universitaire, la Maison Heinrich Heine, qui gagne à être connue pour sa riche programmation culturelle (mea maxima culpa, c’est la première fois que nous y mettons les pieds !), invite (en cette fin de dimanche après-midi de novembre bien maussade et sournoisement accompagnée d’un vent glacial) le jeune et dynamique Trio Steuermann, fondé il y a tout juste deux ans par trois musiciens frisant la trentaine et issus de grandes écoles musicales internationales. Si le public germanophone (ou « phile ») pourrait être tenté de traduire ce Steuermann par le « guide » ou le « barreur » (dans le domaine nautique), le Trio Steuermann rend plus exactement hommage au pianiste et compositeur du même nom, créateur et transcripteur de nombreux opus de Schönberg. Après quelques dates aoûtiennes dans le cadre du Lake District Summer Music International Festival [en Cumbrie, dans le nord-ouest de l’Angleterre – ndr], le trio propose ici un triptyque de Haydn à Borowski conclu par Brahms.

Après l’accord et un léger retard dû au remplissage au compte-gouttes de la salle (l’organisation est même contrainte de rajouter quelques rangées de sièges en urgence), le récital est entamé par le Trio en ut majeur n°43 Hob.XV.27 de Joseph Haydn. L’acoustique du lieu, manifestement non conçu pour les particularités du répertoire chambriste, accompagne de manière assez heureuse cette première proposition. Sec, un peu ramassé voire compacté, cet environnement est tout à fait adapté à ces quelques pages du Viennois qui appellent clarté et contrôle du détaché. Les Steuermann en donnent une version redoutablement précise et assez verte (choix interprétatif souvent appliqué au jeune Beethoven) qui ne cherche pas à exprimer au delà de ce que le matériau contient. On donne toute sa valeur au texte sans le surligner. Nous nous surprenons même à retrouver dans cette conduite, dans cette articulation et le choix d’une dynamique générale oscillant entre le mezzo piano appuyé et le mezzo forte brillant, une sonorité qu’on pourrait obtenir sur instruments d’époque (comment ne pas songer au pianoforte ?). Option qui ne manque pas d’intelligence et révèle une conscience historique bien en phase avec le propos défendu.

Après cette plongée en plein classicisme viennois, nous voilà fin prêts pour la création mondiale du jour. Né en 1979, Johannes Boris Borowski se forme à la composition auprès d’Hanspeter Kyburz et de Marco Stroppa, puis effectue deux résidences à la Cité Internationale des Arts de Paris et au Schloß Wiepersdorf [au sud de Berlin – ndr]. Avec une dizaine d’opus à ce jour, son catalogue révèle une attirance toute particulière pour la musique de chambre, qui n’exclue pas l’extension au grand ensemble et à l’orchestre. En revanche, point de traces de musique vocale (à différencier de la vocalité)… pour le moment, du moins. Même si c’est la première fois que nous entrons personnellement en contact avec elle, la musique de Johannes Boris Borowski a toutefois été jouée à plusieurs reprises à Paris (2008, 2010, 2012) à l’occasion de commandes de l’Ensemble Intercontemporain et sous la direction de George Benjamin et Susanna Mälkki. Difficile d’établir avec certitude connexions éventuelles ou réseaux d’influences. Toutefois, dans un entretien daté du 8 mars 2012 réalisé par Laure Gauthier pour Accents, le compositeur sème quelques éléments de réponse en explicitant son rapport avec la figure boulezienne : « ce qui m’intéresse dans les compositions de Boulez, c’est le lien entre la clarté de la structure et la richesse sonore. Ce sont surtout ces moments où une pensée purement structurale se transforme en une impression sonore complexe qui constitue pour moi un défi ».

Le Klaviertrio ne manque pas de souligner cette idée fondatrice. Entre autres choses, nous admirons une écriture qui ménage sans cesse les possibilités de l’instrumentarium (groupement souvent par deux avec instrument déclencheur ou écriture soliste) et renouvelle les équilibres usuels du genre. L’écriture tutti en devient singulière. Le « groupement cordes », utilisé successivement dans des registres éloignés ou entrecroisés, prend souvent la fonction de mise en espace ou de prolongement du matériau pianistique. Ces oppositions de textures et de registres (sans multiplication de modes de jeu) sont également soulignées par une gestion formelle alternant densification et raréfaction du matériau, jusqu’au plissement de l’oreille. Dans le silence refermant la pièce nous entendons murmurer, quelques sièges plus loin, « c’est malheureux de se donner tant de mal pour cela » : peu défendable lorsqu’il s’agit d’une pièce proposant une fine réflexion sur ce qu’est l’écriture en trio, cette marque d’humeur a pour seul mérite de mettre en avant le remarquable travail de nos trois jeunes musiciens. Plus que convaincants en début de programme, nous les sentons presque plus à même de défendre le répertoire de création. Il n’est pas anodin de préciser qu’ils sont largement acquis à cette noble cause. Sous des applaudissements chaleureux, le compositeur rejoint sur scène ses champions. Beau moment s’il en est !

Après une brève pause, le concert se poursuit par le Trio en si majeur Op.8 n°1 d’un autre Johannes. Ce choix de programmation permet tout à la fois de rendre audible une écriture renouvelée ainsi que des qualités interprétatives qui le sont tout autant. La légère sècheresse et l’articulation d’orfèvrerie (Haydn) cèdent désormais la place à un son opulent et généreux. Dans ce basculement, la création de Borowski offre une transition idéale. Si nous comprenons sans mal cette volonté de caractériser clairement les deux compositeurs de début et de fin de programme, l’angle historique étant toujours de mise, n’était-il pas envisageable de souligner les éléments de continuité plutôt que d’opposition (y compris dans le domaine de l’interprétation) ?

Parfaitement mené de bout en bout par des musiciens investis, talentueux et sans conteste passionnés, le concert termine sa course par un bis du deuxième mouvement du trio de Haydn entendu au début, bouclant la boucle. Nous attendons désormais avec intérêt les prochains projets du Trio Steuermann. De nouvelles créations en perspective ? De nouvelles parutions discographiques ?... à suivre.

NM