Chroniques

par vincent guillemin

Tristan und Isolde | Tristan et Iseult
opéra de Richard Wagner

Aalto-Theater, Essen
- 10 novembre 2013
Kosky met en scène Tristan und Isolde (Wagner) à Essen
© matthias jung

Pour son dernier Tristan und Isolde en 2012 à Bayreuth, Peter Schneider, souvent simplement considéré comme un Kapellmeister de qualité, surprit par une direction particulièrement inspirée et une gestion très impressionnante des couleurs et des nuances. Annoncé à Essen depuis plusieurs mois en remplacement de Stefan Soltesz sur la reprise de la production de Barrie Kosky, il prolonge les aboutissements de Bayreuth par un discours toujours renouvelé, avec un orchestre toutefois moins magistral, bien qu’excellent.

Redécouverte en France dans l’Elektra du regretté Patrice Chéreau cet été, Evelyn Herlitzius [lire notre chronique du 19 janvier 2010] incarne Isolde d’une voix projetée fort accentuée dans le médium ; elle n’a rien perdu de sa verve d’Aix-en-Provence [lire notre chronique du 22 juillet 2013] et fait oublier quelques notes avalées et divers écarts de tons grâce à une prestation et une présence scénique hors du commun. Elle écraserait le reste du plateau s’il n’était d’un tel niveau, comme c’est le cas du Tristan de Jeffrey Dowd [lire notre chronique du 7 mars 2004] dont la voix moins puissante et la moindre prestance n’atténuent pas la qualité d’un chant clair ni la beauté du timbre, la partie du ténor restant l’une des plus complexes du répertoire. Déjà Brangäne à Dijon il y a quatre ans [lire notre chronique du 14 juin 2009], Martina Dike chante d’une voix claire un personnage meurtri à l’Acte I, pour gagner en présence au II puis marquer le rôle à chaque phrase au III. Rarement une Brangäne aura maintenu tel niveau vocal et telle ligne de chant, donnant à chaque phrase sa juste hauteur tout en provoquant une rare émotion. Le Roi Marke d’Ante Jerkunica est presque aussi louable, tant cette voix chaude et posée convient au rôle – Hunding à Francfort, Titurel à Munich et à Barcelone [lire nos chronique du 27 janvier 2013, du 31 juillet 2013 et du 12 mars 2011]. Heiko Trinsiger convainc en Kurwenal, tant par la qualité du chant que par le jeu. Seul le Melot de Mateusz Kabala et surtout Thomas Sehrbrock en Steuermann sont légèrement en retrait de cette distribution des grands soirs.

La mise en scène de Barrie Kosky [lire notre chronique du 30 juillet 2011] intègre tout l’espace du premier acte dans un cadre surélevé de quatre mètres par trois au milieu d’un rideau noir. Les décors de Klaus Grünberg représentent l’intérieur d’un bateau en bois, au mobilier succinct (un fauteuil et un gramophone), qui favorise une proximité forte des personnages, sans pour autant utiliser cette réduction du lieu comme cage ni prison. Le théâtre ne prend jamais le pas sur la musique, ne faisant que l’accompagner par de belles images, comme celle du final du I où l’on enroule autour d’un fauteuil l’interminable traîne de mariée d’Isolde, jusqu’à créer l’illusion d’un rocher sur la mer. L’acte médian est le plus réussi : une capsule carrée grise d’environ trois mètres par trois qui tourne continuellement sur elle-même emmène les amants dans une intemporelle apesanteur, magnifiant les sentiments amoureux. L’idée de cadre est prolongée au troisième acte avec l’intérieur de la maison où, malgré les bons soins de Kurwenal, Tristan se meurt, mais elle est vite dépassée lorsqu’une chaise en est éjectée. Cette fois le rideau reste ouvert, laissant à l’arrière du coffrage un espace scénique plongé dans une pénombre où seul trois pâtres font brouter leurs moutons, avant que les acteurs du drame interviennent de l’extérieur.

La dernière image laisse Tristan à terre, mort, en haut de scène, où bientôt le couvrira le manteau de sa bien-aimée, couchée à ses côtés pour les derniers accords de la Liebestod. Les Essener Philharmoniker et Peter Schneider nous ramèneraient presque à Bayreuth, tant le résultat est sublime.

VG