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Chroniques
Tristan und Isolde | Tristan et Iseult
opéra de Richard Wagner
Jalon désormais incontournable de la saison lyrique, l'édition 2017 du mini-festival de printemps, intitulée Mémoires, s'attache à trois productions considérées comme mythiques et que Serge Dorny a voulu recréer de manière posthume à l'Opéra de Lyon. Ainsi en est-il du Tristan und Isolde de Wagner réglé pour Bayreuth en 1993 par Heiner Müller – dont le Quartett a inspiré le premier opus dramatique de Luca Francesconi, reprogrammé actuellement sur les planches [lire notre chronique du 3 mars 2017].
Repris par Stephan Suschke, le spectacle assume un minimalisme scénographique où l'on reconnaît certains invariants de la poétique d'Erich Wonder, épure symbolique entre réalisme et démarche visionnaire reconstruite par Kaspar Glarner et rehaussée de la décantation des éclairages conçus par Manfred Voss (reconstitués par Ulrich Niepel).
Le premier acte est figé dans une abstraction lumineuse, aux teintes jaune et orangé, que l'on pourrait faire vaguement descendre d'un Rothko : derrière le translucide rideau de la distance amoureuse et mnésique se tiennent la reine d'Irlande et sa suivante ; au fond, Kurwenal, en quasi prostration. Au II s'étend la nuit d'un vaste champ d'armures tenant lieu de forêt, métaphore des bosquets de la légitimité sociale et politique somnolente à travers laquelle les amants essaient de se frayer un chemin. Quant au dernier tableau, il baigne dans une grisaille de cendres, monochrome d'où se détache l'irradiante assomption ultime d'Isolde. Habillés par Yohji Yamamoto, les personnages ne sont pas livrés à d'élucubrations dramaturgiques hors de l'introspection philosophique de la légende, au risque d'un statisme que les plateaux se révèlent aujourd'hui moins enclins à accepter.
Le métal incandescent d'Ann Petersen, déjà présente sur ce plateau et dans le même rôle diversement mis en scène [lire notre chronique du 4 juin 2011], sert une remarquable incarnation d'Isolde, qui compense la modestie de la rondeur vocale par une efficacité sans faille, au service d'une évidente intelligibilité de l'articulation. Applaudi en Lohengrin cet automne [lire notre chronique du 20 septembre 2016], Daniel Kirch tâche, en Tristan, de se montrer méritant. Il distille ses ressources au fil de la soirée pour affronter la redoutable attente du troisième acte, assumée, quoique guère au delà de la vaillance minimale. Au service de Pogner l’été passé [lire notre chronique 31 juillet 2016], Christof Fischesser affiche, sans posséder l'aura des grands Marke, une solidité et une plénitude indéniables où s'entend la souveraineté blessée. Tour à tour Amfortas et Klingsor [lire nos chroniques du 4 mars 2008, des 23 mars et 21 juin 2012], Alejandro Marco-Buhrmester ne manque pas la gouaille d'un Kurwenal estimable. Jeune Brangäne, Ève-Maud Hubeaux recèle d'évidentes promesses déjà audibles dans la présente composition. Mentionnons encore le Melot de Thomas Piffka, ainsi que les interventions appréciables de Patrick Grahl en Matelot et Berger, sans oublier le Timonier confié à Paolo Stupenengo, membre du Chœur local préparé sans faux pas par Philip White.
Enfin, la direction cursive d’Hartmut Haenchen privilégie une dynamique très allante, soucieuse des couleurs, au risque de frustrer parfois l'épanouissement des cordes, au chant çà et là apocopé.
GC