Chroniques

par bertrand bolognesi

Tristan und Isolde | Tristan et Iseult
opéra de Richard Wagner

Herbstfestspiele / Festspielhaus, Baden Baden
- 27 septembre 2007
© andrea kremper

L’investigation wagnérienne de Nikolaus Lehnhoff passait par Glyndebourne en 2003 avec ce Tristan und Isolde repris aujourd’hui à Baden Baden. C’est dans l’esthétique, le symbole et la distance que s’inscrit la production, stylisée à l’extrême, dans une lumière savamment travaillée – Robin Carter etRoland Aeschlimann. Les captives y apparaissent sur des flots qui peuvent tout aussi bien évoquer un vaisseau dont l’insaisissable profondeur est scellée par le destin. De fait, omniprésent sur les trois actes, ce décor (Aeschlimann) s’abstrait au fil de la représentation, se réduisant souvent à l’épure selon l’usage qu’on en fait. Tout commence dans un halo méthyle et indigo que l’arrivée des ravisseurs fait virer au gris sans ciel. Mais le philtre, en changeant le cours des sentiments, à moins que ce ne soit en les révélant, par-delà leurs révoltes de mise, illumine la scène qu’il embrume de l’opacité surnaturelle d’un bleu de Klein. Et si un gel morose de neige sale accompagne le monologue d’un roi déçu ou le désarroi d’un ami dévoué jusqu’au sacrifice, l’amour se partagera jusqu’à la mort dans ce bleu-là. Seuls les costumes délicatement ouvragés d’Andrea Schmidt-Futterer évoquent discrètement un Moyen-âge de mers froides que soulignent certains visages (Kurwenal, Marke). Laissant évoluer les chanteurs dans cet espace circonscrit, la mise en scène semble s’effacer ; mais, aussi sobre soit-elle, œuvrant dans un dosage toujours gracieux, elle interroge à sa manière, infiniment sensible, la trouble jalousie de Melot, la déception quasi amoureuse de Marke, le tendre désarroi de Kurwenal (pour aimer Tristan, il n’y a finalement qu’Isolde qui ait eu besoin d’un philtre magique).

C’est un luxueux plateau vocal qu’offre le Festspielhaus. Outre un Steuermann – Michael Vier – livrant scrupuleusement chaque nuance du poème qu’il aborde avec les raffinements habituellement accordés au Lied, nous y croisons un Melot – Stephen Gadd – solidement sonore, avantageusement ancré dans une incontournable autorité. La voix exceptionnelle, le chant exemplairement conduit et nuancé à souhait imposent le Marke de Stephen Milling, d’une présence allant de soi. La claire Brangäne de Katarina Karnéus s’avère généreusement projetée et fort attachante. Affirmant plus que jamais le grave corsé qui fait sa signature, Robert Gambill accuse quelques marques de fatigue : le vibrato bouge trop dans le registre médium, la justesse est parfois mise à mal (la# et do#, notamment) et les attaques souvent amorcées par le dessous. Mais le timbre toujours aussi chaud, la présence dramatique indéniablement efficace et le phrasé pertinent servent un Tristan possible.

Grave épais où s’ancre une couleur riche et parfois plus sombre que sa Brangäne, aigu souple et lumineux qui évite l’éclat au profit d’un velours incomparable, immense réserve de moyens induisant un chant souple dont la dynamique est remarquablement menée, présence à la fois sensible et intelligente, Nina Stemme offre une immense Isolde qui partage avec d’illustres aînées des qualités que le public d’aujourd’hui n’a pu connaître que par le disque. Enfin, signalant une bonne santé vocale par son chant franc et altier du premier acte, Bo Skovhus use au dernier d’un timbre soyeux et d’une présence physique d’abord sculpturale qu’il sait rendre vertigineusement fragile, livrant un Kurwenal investi comme nul autre, tout simplement bouleversant.

Au pupitre, Jiří Bělohlávek conduit les musiciens du London Philharmonic Orchestra dans une interprétation qui, pour installer dans un geste large le Vorspiel de l’Acte I, ne traîne pas, s’avérant d’ailleurs plutôt leste, malgré une main parfois lourde sur la percussion. Les climats sont soigneusement peints (belle âpreté des premières mesures du troisième acte, par exemple), la dramaturgie orchestrale tenant ici parfaitement son rôle de mise en scène.

BB