Chroniques

par hervé könig

Tristan und Isolde | Tristan et Iseult
opéra de Richard Wagner

Grange Park Opera
- 6 juillet 2023
Charles Edwards signe TRISTAN UND ISOLDE (Wagner) àGrange Park Opera
© marc brenner

À West Horsley Place, la fête continue ! Dans le cadre du très agréable festival Grange Park Opera, nous découvrons aujourd’hui une nouvelle production du septième opéra (achevé : je ne compte pas Die Hochzeit de 1832). Au pupitre du Gascoigne Orchestra, nous retrouvons l’éminant Stephen Barlow – après avoir été le directeur artistique d’Opera Northern Ireland, le directeur musical du Queensland Philharmonic Orchestra puis le patron du Buxton International Festival (où nous nous rendrons dans quelques jours), le compositeur, pianiste et chef d’orchestre, par ailleurs régulièrement invité à jouer avec les grandes formations britanniques comme avec de prestigieux orchestres à l’étranger, est associé à Grange Park Opera dont il dirige de nombreuses représentations. Son interprétation de Tristan und Isolde intéresse par une ciselure bien construite et le continuel souci de l’équilibre avec les chanteurs – ici, la fosse est largement découverte, le danger est donc de couvrir les voix. Sans trop accentuer la ligne ou les attaques, Barlow [lire nos chroniques de Macbet et de Roméo et Juliette] mène des musiciens très précis à concentrer leur expressivité dans le lyrisme et non dans la puissance sonore. Ce sens de l’écoute, on le retrouvedans des choix de tempo qui racontent quelque chose, tissant avec la scène une histoire à entendre au delà des mots.

La production a été confiée au scénographe Charles Edwards [lire nos chroniques d’Adriana Lecouvreur, Lucia di Lammermoor, Káťa Kabanová, Norma et Faust]. Avec grand talent, il crée un univers apte à accueillir des allusions à la genèse de l’œuvre – les plantes vertes et la lumières font penser à Im Treibhaus, l’un des Lieder qui servit d’étude à l’opéra, et, par esprit d’escalier, à certains intérieurs contemporains du compositeur et à sa liaison avec Mathilde Wesendonck, déterminante dans l’élaboration – mais qui convoque aussi le temps médiéval, celui de la légende originelle. Où trouver ses capacités ailleurs que dans l’Arts and Crafts Movement, apparu au Royaume-Uni dans les années soixante du XIXe siècle, et dans son aîné en matière de peinture, le préraphaélisme, dont les thèmes artistiques annoncent les motifs décoratifs ? Le propos n’est pas exclusivement scénographique : une certaine conception de la vie amoureuse traverse la période, comme elle interrogea Wagner dans cet opus voyant jour en 1865, donc exactement au moment de l’apparition de ce design outre-Manche. Et dans le rôle d’Isolde, avec cette chevelure rousse qui flamboie, l’on croit voir la poétesse Elizabeth Eleanor Siddal, à moins qu’il s’agisse de la créatrice textile Jane Burden, toutes deux modèles préférés de ce groupe d’artistes ! Edwards ne laisse rien au hasard, dans une direction d’acteurs minutieuse qui n’oublie pas d’écouter la musique jusqu’à la transfiguration finale de l’héroïne : elle abandonne son costume pour apparaître comme une femme d’aujourd’hui, puis entre dans la lumière.

Un casting de bonne tenue soutient l’événement.
Vaillant et endurant, le Tristan de Gwyn Hughes Jones affirme une souplesse vocale étonnante. Le ténor gallois apporte au rôle un legato généreux, une fidélité d’intonation indéfectible, et possède une grande réserve de moyens qui permet de livrer un Acte II d’une sensualité convaincante. La tendresse est au rendez-vous du III sans détimbrer. Un très grand Tristan, assurément [lire nos chroniques de Die Meistersinger von Nürnberg et de Turandot]. Entendue en Isolde à Paris et à Francfort [lire nos chroniques du 12 mai 2016 et du 19 janvier 2020], Rachel Nicholls affirme une saine sûreté d’émission et une facilité à projeter peut-être trop envahissante pour une scène de cette proportion. Ne boudons pas notre plaisir : la force dramatique de cette voix convient au rôle, même si elle peut paraître un peu dure dans le premier acte.

Avant elle, c’est pourtant le mezzo-soprano charismatique Christine Rice qui nous ravit dans une incarnation très musicale de Brangäne à laquelle elle offre une couleur vocale attachante, sublimée par une palette de nuances toujours à l’œuvre [lire nos chroniques de The Minotaur, Béatrice et Bénédict, La Calisto et The rape of Lucretia]. Baryton robuste à la phonation ferme, David Stout affiche ces qualités dans le I et convoque des trésors de passion dans le III : on se souviendra longtemps de son bon Kurwenal [lire nos chroniques de Figaro gets a divorce et de Don Quichotte]. D’une gravité saisissante, comme sans jeu, Matthew Rose déploie sobrement sa basse dans un Mark très humain, qui émeut [lire nos chroniques d’Acis and Galatea, The Rake’s Progress et Poliuto]. D’abord en Marin, puis en Melot, Mark Le Brocq satisfait par le timbre, l’impact et le style [lire nos chroniques de Das Rheingold et d’Anthropocene]. Applaudi hier en Sciarrone [lire notre chronique de la veille], on retrouve le jeune Thomas Isherwood en irréprochable Timonier, quand Sam Utley offre une vigueur appréciable à la partie du Berger. Rien à jeter, donc !

HK