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Chroniques
Tristan und Isolde | Tristan et Iseult
opéra de Richard Wagner
Le Bayreuther Festspiele reprend la production de Tristan und Isolde de Christophe Marthaler (2005), dans les décors de son inséparable consœur Anna Viebrock. Du metteur en scène helvète, on pouvait craindre le pire : son esthétique de gabardines délavées et de sacs plastiques, souvent plaquée sur les œuvres, ne fonctionne pas toujours au mieux. Si l’on se souvient avec émotions de sa Káťa Kabanová, on ne peut que déplorer le cruel échec des Nozze di Figaro. Pourtant, son Tristan, après une période d’acclimatation, se révèle aussi prenant que fascinant.
Le début du premier acte livre un certain malaise. Dans un vaste salon défraîchi, l’héroïne renverse les fauteuils, en une jeune fille capricieuse. Tristan fait son entrée, vêtu d’une méchante veste à écusson ; Kurwenal est une sorte de serviteur en kilt. Au fur et à mesure, on adhère à l’idée de Marthaler : Isolde est une Emma Bovary qui s’ennuie ferme dans un univers de grande bourgeoise délaissée, et Tristan un ersatz de virilité qui ne comprend rien à ses actes et à la passion qui le dévore. La liaison dessentimentalisée et une dépendance plus psychologique qu’amoureuse font que, durant tout l’opéra, les amants ne s’embrassent qu’une fois ! C’est seulement au dernier acte qu’ils prennent conscience de leurs actes et de l’inéluctabilité des destins. Le décor, qui s’empile au fur et à mesure de la partition, renforce ce sentiment d’oppression angoissante tout juste rehaussée par le jeu subtil des néons au fil de l’évolution affective des personnages. Les costumes illustrent la caractérisation sociale : l’ensemble vulgaire et banal de Tristan, le tailleur précieux et clinquant d’Isolde à l’Acte II, l’imposant manteau du roi Marke. L’adéquation entre la direction d’acteur, les décors et les costumes est parfaite.
La distribution est écrasée par l’Isolde brûlante et fascinante de Nina Stemme à laquelle la salle réservait une longue standing ovation. Le soprano dévore son rôle : le timbre est impérial et charnel, alors que l’engagement scénique est viscéral. On pourra lui reprocher une carence émotionnelle, mais le spectacle ne s’y prête guère. Face à une telle artiste, le Tristan de Robert Dean Smith paraît plutôt falot. Le timbre est banal et manque cruellement de puissance ; pourtant, c’est musicalement fin et l’investissement dramatique, surtout au III, force le respect. Le Marke de la basse Kwangchul Youn est imposant de raideur. Certes, le chant est parfaitement conduit, mais l’artiste est prisonnier de la vision du metteur en scène et évolue en sous-régime, le pied sur le frein. Harmut Welker campe un Kurwenal fascinant d’engagement scénique, en dépit d’une certaine fatigue vocale. Peu gâtée par ses costumes, Petra Lang incarne une Brangäne de haut vol. Le reste de la distribution est parfaite : Ralf Lukas (Melot), Clemens Bieber (Seeman), Arnold Bezuyen (Hirt) et Martin Snell (Steuermann).
Unanimement décrié pour l’impéritie de sa direction, le chef japonais Eiji Ōue fut remercié après les représentations de l’année dernière. L’on fit cette fois appel à un solide routier : Peter Schneider. Pilier du festival où il dirige depuis 1981 et pour lequel il a déjà dépassé le cap des cent soirées, ce chef est de la trempe des solides Kappelmeister. Sa direction est comme on pouvait l’envisager : assez rapide, sèche, sans passion, mais probe. Elle se marie parfaitement avec le spectacle de Marthaler. Peu concentré, l’orchestre ne livre pas une prestation convaincante : l’on constate un manque d’homogénéité dans les tutti et certaines attaques pas très nettes.
Comme le dit Peter Sellars, « il y a des centaines de manière d’envisager Tristan et aucune n’est définitive ». En dépit de certaines réserves musicales, ce spectacle est l’un des plus intéressants Tristan du moment.
PJT