Chroniques

par marc develey

trois concerti de la famille Bach
Louis Creac’h, Sophie Gent, Évolène Kiener, Fanny Paccoud,

Thomas de Pierrefeu, Jean Rondeau et Antoine Touche
Théâtre des Champs-Élysées, Paris
- 26 mars 2017

Au lieu de la Symphonie en ut majeur H.659 de Carl Philipp Emanuel Bach annoncée en ouverture du programme de cette fin de matinée (dans le cadre des concerts Jeanine Roze), c’est la transcription d’une page d’allure chorale qui nous est d’abord offerte. L’élégie s’en déploie sur un velours de cordes en un bel canto marqué des délicatesses de sylve obscure du contrepoint entre alto et basson.

La symphonie de C.P.E. Bach la suit, étonnamment enchaînée attacca dans un Allegro assai au Sturm und Drang mesuré. Les premières mesures de l’Adagio imposent au deuxième mouvement ses harmonies mobiles, marquées d’entrée à la basse par la signature du clan Bach complétée d’un mi (l’E d’Emmanuel), saveur tonale du morceau. De son lamento mélismatique, rien n’est trop souligné. L’articulation, prise dans les variations fines du tactus, laisse à la partition le soin de porter la rhétorique. De voluptueux ritenuti font oublier ici les quelques imprécisions du premier violon, au demeurant excellent dans la fluidité d’archet, au cours des brèves pages dansées de l’Allegretto final.

Dans un tempo résolu, le Concerto pour clavecin en fa mineur W.C73 n°6, désormais attribué à Johann Christian Bach, circonscrit aux variations fines de l’articulation le pathos de son Allegro di molto. Soutenu par un excellent chambrisme d’ensemble, le jeu de Jean Rondeau y délivre un chant dont le caractère délicatement hésitant se trouve renforcé par une acoustique qui ne le sert pas totalement mais éclaire cette pièce hardie d’un étonnant contraste. À l’Andante, le clavecin va, méditant, au gré des chantournements de la partition, sur la paix grave délivrée par les belles tenues du sextuor, jusqu’à de subtilement fiévreuses résolutions finales. Un espace plus dynamique s’ouvre alors avec l’ultime Prestissimo. Ritenuti marqués et précision texturale du clavecin, contrastés avec les sons tirés des cordes, y laissent le soliste explorer ses propositions de modulation dans une touche élaborée.

Intermède dans cette série de pièces de plus grande envergure, la fugue du second mouvement (Allegro e forte) de la Sinfonia en ré mineur F.65 de Wilhelm Friedemann Bach envoie son thème en échos successifs dans un mezzo forte résolu, traversé à chaque pupitre de délicieuses micro-variations de la dynamique.

De Johann Sebastian Bach enfin, le Concerto pour clavecin en ré mineur BWV 1052 n°1 s’ouvre sur un Allegro moiré d’accents italianisant. L’attention se laisse emporter par les détails d’un très convainquant continuo autant que par la diversité des tempéraments ici assemblés en une musique dialoguée comme à mi-voix. Installé dans une belle respiration, l’Adagio se fait poème dans les anastomoses instrumentales alors que l’Allegro final, atmosphériquement piqué, ne s’attarde jamais sauf en de langoureuses longues, et s’orne d’inflorescences de répons intra-orchestraux comme murmurés sur la précision goûteuse des soli. Un délice.

En bis, les musiciens nous font la grâce du second mouvement (Largo) du Concerto en fa mineur BWV 1056 n°5. Léger rubato, retenues successives, élégie quasi gazeuse énoncéeclaire et libre en gouttes solaire et sereines font de cet ultime moment un discret et bienheureux miracle.

MD