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Chroniques
trois créations par le Quatuor Diotima
Arturo Fuentes, Thomas Larcher, Jean-Luc Hervé, Rebecca Saunders
Le troisième (et dernier) programme que nous suivons à Klangspuren Schwaz nous mène en la petite église Saint-Martin, à flanc de côteau sud-ouest de la ville. Dans cet écrin baroque, le Quatuor Diotima confronte quatre esthétiques fort différentes. Le concert commence avec la création mondiale du Quatuor à cordes de Jean-Luc Hervé. Quelques harmoniques filés, rapides, fulgurantes même, des sonorités furtives, bruitistes pour certaines, quatre archets et plusieurs doigts propulsent l’écoute dans un presque-rien fragile que la présente acoustique met à mal – le moindre crissement de cuir d’une chaussure est un enfer. Outre une écriture micro-intervallaire et des glissements volontairement insaisissables, le vocabulaire du musicien français, dont la geste semble tenter de n’être plus spectrale tout en s’attachant à le rester, convoque, après un grand accord furiosio, un effet particulier par le biais d’un dispositif électronique au sol diffusant des hésitations harpistiques ou guitaristiques tant décoratives que bricolées qui laissent songeur quant au divorce entre œuvre et discours (dans la brochure de salle, la note d’intention du compositeur laisse présager un tout autre niveau de créativité qu’une page demeurant au stade d’expérience anecdotique).
Sans respiration : c’est ainsi qu’on pourra traduire l’expression Unbreathed choisie l’an dernier par Rebecca Saunders comme titre de son nouveau quatuor (après une première contribution au genre en 1997 puis fletch en 2012). Créé à Londres (au Wigmore Hall, son commanditaire) en janvier dernier par Diotima auquel il est dédié, il est ici donné en première continentale. La compositrice britannique appuie son travail sur plusieurs citations littéraires qui empruntent aux écrivains Samuel Beckett (L'Innommable, 1949 ; Textes pour rien, 1955) et Haruki Murakami (La fin des temps, 1985), ainsi qu’au jeune poète et plasticien Ed Atkins (Une préparation pour les cadavres, 2016). Elles évoquent le souffle, l’impossibilité à le reprendre, vapeur, silence, absence de lumière, fumée, poussière et brutale déréliction, enfin vide et néant. Unbreathed se présente en deux mouvements enchaînés. Le premier tourne vertigineusement au fil d’une oscillation quasiment torrentielle à la tonicité très contrastée, éternel recommencement sous l’entrave d’une vigoureuse asphyxie. Une ombre de mélodie pourrait poindre qui jamais ne s’affirme. Après une conclusion fortissimo conjuguant tous les efforts, le second se love dans un trait violoncellistique fermé, voire intrigant, dont les partenaires adoptent une sorte de torve écho peu à peu désincarné. La nauséeuse suspension de cette énigmatique multiplopie laisse, comme par aposiopèse, se souder à nouveau le quatuor, dans l’ultime… respiration, ouverte. Après Into the Blue (1996), Quartet (1998) et Stirrings (2011), entendus ici [lire notre chronique], cette page passionnante vient couronner une résidence qui fera date, n’en doutons pas.
Enregistré en mars 2015 à Karlsruhe par Diotima pour le label Kairos, avec trois autres opus d’Arturo Fuentes (Broken mirrors, Glass distortion et Liquid crystals) dont nous saluions hier le monodrame Carlotas Zimmer [lire notre chronique de la veille], Ice reflection, conçu en 2014, ne fut jamais exécuté au concert. Cette seconde création mondiale de la soirée affleure dans un effet qu’on pourrait dire de balançoire, un parhélie obstiné révélant volontiers un matériau richement texturé qu’il livre dans le même temps à une rigoureuse dessiccation. Ce principe conduit progressivement à une concentration texturée à l’extrême que développe étonnamment la prompte inventivité du compositeur mexicain. À une imagination musicale subtile s’allie une délicate écoute intérieure qui fait vertement virevolter le matériau initial.
Créé par les Belcea, à Grenoble, le 2 décembre 2015, lucid dreams est le quatrième quatuor à cordes de Thomas Larcher (fondateur de Klangspuren, rappelons-le). Découvrir ces Rêves éveillés, c’est amerrir, via une écriture très personnelle et inclassable, dans la vaste Histoire du genre, jalonnée d’allusion aux maîtres anciens. Plus que cet objet musical étrange et non-identifié, saluons l’interprétation des Diotima, au service d’une partition redoutable et virtuose.
BB