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Chroniques
trois créations pour Tremplin 1
solistes de l'Ensemble Intercontemporain
Chaque année, la série de concerts Tremplin permet d’entendre les créations de compositeurs révélés par le comité de lecture de l’Ensemble Intercontemporain et de l’Ircam (deux années auparavant, en général) ou par le Cursus 2 de l’Ircam seul. Ce dernier, suite à une saison de formation pratique à l’informatique musicale (traitement du signal, de la synthèse sonore, de l’écriture de l’interaction, etc.), autorise cinq ou six des compositeurs de moins de trente-cinq ans issus du groupe initial à mettre en œuvre un projet artistique au cours d’une seconde année de formation et de professionnalisation. C’est le cas pour Marc Garcia Vitoria, entendu en fin de programme, et pour Maurilio Cacciatore, à découvrir dans quelques jours, durant Tremplin 2 – deux noms déjà réunis à Royaumont, à la fin de l’été dernier [lire notre chronique du 11 septembre 2010].
Il y a près de deux ans, dans cette même salle, nous entendions Introduction aux ténèbres de Raphaël Cendo, pour voix de basse, contrebasse, ensemble et électronique. S’inspirant de l’Apocalypse de Jean, cette pièce de trois quarts d’heure nous avait paru la bande-son idéale pour une séquelle de L’exorciste. En revanche, même si elle se réfère aux mêmes pages et met en avant le chiffre de la Bête – tel bon nombre de groupes d’heavy metal –, la vingtaine de minutes passée avec 666 est beaucoup moins décevante. C’est sans doute qu’en écrivant ses six mouvements, Lionel Bord – bassoniste professionnel (né en 1976 et membre de l’Orchestre de Paris depuis 2003), qui étudie les différents aspects de la composition depuis plus de dix ans maintenant (avec Gaussin, Nunes, Durieux, Naón, Dalbavie, etc.) – garde un œil sur « la fragilité de l’âme, ses paradoxes, voire ses contradictions », sans nous plonger totalement dans le soufre. Réunissant Jérôme Comte, Éric-Maria Couturier et Sébastien Vichard, la pièce s’ouvre dans un climat volubile et brumeux, nourri par des claquements de clarinette basse, des pizz’ sourds au violoncelle et un piano joué dans l’extrême grave. Ce dernier gagne en aigu, tandis que l’instrument à cordes grince et que le bois, tenant plus longtemps ses notes, siffle parfois. Une clarinette « simple » intervient alors, créant avec le violoncelle des gémissements plus ou moins lointains, plainte étouffée ou sirène d’alarme. L’échange s’opère avec assez de discrétion pour laisser dominer le piano, lequel se voit offrir un solo assez musclé qui dépasse la minute. On retrouve ensuite les procédés percussifs du mouvement initial, mais en plus doux, carrefour entre minimalisme et orientalisme, et, pour finir, les barrissements de la clarinette basse, les sifflements du violoncelle et un piano joués autant sur les cordes que sur les touches. Cette « musique sauvage […] à la violence aussi radicale que libératrice » a trouvé écho en nous.
Commencées auprès de Daniel Montes et Ricardo Martinez à Buenos Aires, les études de Lucas Fagin se poursuivent en France avec Stroppa, Gervasoni et Naón, notamment. « Daniel Montes enseigne hors de tout système, dans la solitude de son studio, précise le jeune Argentin (né en 1980). C’était un pari risqué mais je suis aujourd’hui heureux de ce choix : ma formation initiale s’est faite sans conditionnement extérieur, et sans penser du tout carrière : seule la musique compte. » Alors qu’il prépare actuellement un quatuor à cordes (Ars Musica 2012) et un opéra, le créateur de Cometas (2004) et Ilusionario (2009) fait entendre Lanterna magica – allusion aux images voilées de la pensée comme à celles que projetaient son grand-père avec l’antique instrument d’optique. Dans un entrelacs de sons rauques et flûtés, un quintette à cordes (deux violons, alto, violoncelle et contrebasse à cinq cordes) installe une structure instable et vacillante, que le percussionniste illumine d’interventions (xylophone, cymbales, lion’s roar) plus brèves que les silences. Les cordes calment la vivacité de leurs échanges, tendent parfois vers un même but, tandis que la percussion, sans augmenter ses interventions, gagne en variété et intensité (wood-block, steel-drum, etc.). En ce qui nous concerne, les sept sections enchaînées de cette pièce ont rapidement semblés tourner en rond.
La maladie d’un des solistes de l’Ensemble Intercontemporain n’ayant pu permettre de répéter à loisir Übersteiger, la pièce de Stefan Keller qui sera jouée ultérieurement, c’est donc avec Marc Garcia Vitoria [photo] que se conclut la soirée. Né en 1985, formé au violon et au piano, le natif de Valence étudie à Barcelone (avec Lazkano, Brnčic et Naón), puis à Genève (Jarrell, Daubresse et, de nouveau, Naón – le point commun entre nos trois apprentis compositeurs) avant de faire face à des commandes déjà nombreuses. Il approfondit un goût ancien pour l’outil informatique, apprend « à y faire des choix, sans [se] restreindre techniquement ». Dans Mimesis, traitement en temps réel, spatialisation et diffusion WFS interviennent sans pesanteur, ni « faute de goût », mais toujours en harmonie avec le quintette dirigé par le pianiste Oliver Hagen : harpe, accordéon, percussion, alto et contrebasse. D’abord lâche, le tissu sonore se resserre et se densifie dans une grande variété de climats tendrement tendus et de surprises jamais violentes – comme lorsque que Frédéric Stochl frappe le corps de l’instrument fiché au sol, qu’Anthony Millet racle les soufflets du sien et que Gilles Durot abandonne le marimba pour l’harmonica. À juste titre, cette pièce – peut-être sentimentale, au fond – est très applaudie.
LB