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Chroniques
trois créations, signées Amargianaki, Jarrell et Montalbetti
Matthias Pintscher dirige l’Ensemble Intercontemporain
Avec cette soirée intitulée Nouveau souffle, l’Ensemble Intercontemporain concentre son programme sur l’écriture flûtistique, invitant au passage celle pour voix. Cinq compositeurs sont à l’affiche de ce menu comptant une première française et deux créations mondiales. Hommage est rendu au fondateur de l’institution, Pierre Boulez, avec Mémoriale (…explosante-fixe… originel), page de 1985 créée cet automne-là à Nanterre par Sophie Cherrier et huit de ses camarades, sous la battue du compositeur. On la retrouve aujourd’hui dans l’interprétation d’Emmanuelle Ophèle, fort clarteuse et souverainement respirée, comme en suspension. À Sophie Cherrier revient ensuite d’exécuter un opus en solo écrit en 2013 par Matthias Pintscher, l’actuel chef de l’EIC, auquel Emmanuel Pahud avait donné le jour la même année, au Salzburger Festspiele, et qui évoque une œuvre du plasticien Anselm Kiefer, A.E.I.O.U, installée en 2002 dans la cité autrichienne. Virtuose en diable, Beyond (a system of passing) explore une profusion d’effets dont aisément se joue l’extrême maîtrise de la soliste.
Place à la création, avec Cavernes et Soleils, concertino pour mezzo-soprano et orchestre de chambre sur trois poèmes d’Andrée Chedid d’Éric Montalbetti, un musicien encore peu joué dont on découvre ici l’écriture orchestrale à la fois colorée et fluide, parfois dramatique. La richesse sonore envahit quelque peu la partie vocale. Avouons connaître bien des difficultés à percevoir la prestation de Christina Daletska [lire nos chroniques de La Traviata, Don Giovanni, Gesänge-Gedanken mit Friedrich Nietzsche, Das Labyrinth et Kein Licht], qui voyage sur les volutes chantournées d’un effectif assez copieux (deux flûtes, hautbois, cor anglais, deux clarinettes, deux bassons, deux cors, trompette, bugle, trombone, percussions, harpe, célesta, piano, trois violons, deux altos, violoncelle et contrebasse), parcours oscillant qui n’est pas sans vaguement rappeler la version orchestrale de Notation VII de Boulez (1998). La direction de Matthias Pintscher révèle une énigmatique nébuleuse onirique qui bientôt s’élève des nombreux trilles, boucles et aller-retours, gagnée par un lyrisme évanescent.
Le glissement observé entre flûtistes à travers les œuvres (de Sophie Cherrier à Emmanuelle Ophèle, d’Emmanuel Pahud à Sophie Cherrier) conduit à la rencontre des trois, menée par N 37° 58’ 21.108 E 23° 43’ 23.27, Athens d’Irini Amargianaki. Cette seconde création mondiale du jour, donnée après l’entracte, la jeune compositrice grecque l’a conçue pour trois flûtes (dont une basse) et ensemble. Son titre se réfère aux coordonnées géopositionnées par satellite (GPS) d’un quartier de la cité de Périclès cher à la musicienne en sa nature de boîte à souvenirs précieux. « Le rôle de chacun des instruments est de contribuer au processus de remémoration et d’anamnèse, générant dans la pièce des souvenirs effacés censés s’affirmer en tant qu’entités de plus en plus concrètes au fur et à mesure que la musique se développe », précise-t-elle (brochure de salle). Aussi les personnages de ce fascinant théâtre de la remémoration sont-ils nettement caractérisés, la scansion pour ainsi dire palpitée de la grosse caisse lui offrant une scène que chaque événement sonore éclaire avec un raffinement tout personnel. C’est, tour à tour, via l’émotion que surgissent les fragments de mémoire et, à l’inverse, à l’occasion d’une évocation crue intellectualisée d’un moment passé que soudain revit pleinement l’émotion : de ce jeu parfois éprouvant, Amargianaki tisse une vivacité volontiers bruissante lorsqu’elle n’est point éruptive. La générosité inventive des modes de génération sonore usités participe de cette recherche opiniâtre qui s’articule selon l’aléa émotionnel. Bravo !
Créé le 22 juin 2017 à Berlin par Emmanuel Pahud et le Scharoun Ensemble, …un temps de silence… de Michael Jarrell est aujourd’hui donné pour la première fois en France. Enflammant d’emblée l’écoute, l’enthousiasme de l’écriture soliste s’affiche en surchauffe virtuose ! Et le dédicataire de cette œuvre « écrite sur mesure », selon Jarrell (même source), d’alors faire preuve d’une technique et d’un talent qui laissent pantois, au fil d’une architecture en trois périodes qui interroge le silence. Entre battement et froissement érigés en chant, puis une raréfaction sibylline dont la source fut pourtant une sorte d’agitation parkinsonienne, le parcours régente peu à peu la ponctuation d’un silence toujours plus prégnant, absorbant l’auditeur dans sa galerie secrète.
BB