Chroniques

par bruno serrou

trois quatuors à cordes de Hindemith
Quatuor Danel

Opéra national de Paris / Amphithéâtre Bastille
- 30 novembre 2010
Derek Trillo photographie le Quatuor Danel
© derek trillo

En marge de Mathis der Maler de Paul Hindemith [lire notre chronique du 19 novembre 2010], l’Opéra national de Paris aura consacré au compositeur allemand, à l’Amphithéâtre Bastille, une série de concerts de musique de chambre. Dans ce cadre, le quatuor Danel propose trois de ses six quatuors à cordes – cursus auquel il convient d’ajouter un septième, l’Ouverture du « Fliegende Holländer », jouée comme le ferait un mauvais orchestre d’une station thermale à 7 heures du matin, près d’une fontaine, en déchiffrant la partition,et un huitième, inédit, daté de 1915 –, les Quatuors n°4, 5 et 6. Un genre que Hindemith a pratiqué de l’intérieur, occupant successivement les postes de second violon (1915-1919) puis d’altiste (1919-1922) du quatuor Rebner, poste qu’il assume (jusqu’en 1929) dans le fameux quatuor Amar qu’il fondera en 1922.

Les Quatuor n°4 (1921) et n°5 (1923), qui présentent un Hindemith tour a tour grave et émouvant dans le premier, allant jusqu’à brosser un climat dans l’esprit d’un Bartók de la même période – le mouvement lent, splendide dans ses demi-teintes et sa douceur, d’ailleurs bissé –, espiègle, corrosif dans le Quatuor n°5 « Minimax Parody » écrit en deux jours de l’été 1923 (25-26 juillet) pour le jeune couple Min(z)i (Wilhelmine) et Max(im) de Fürstenberg, cumul de transpositions de musiques populaires et militaires pour les cordes avec force erreurs, rythmes boiteux, clins d’œil à Johann Strauss, Franz von Suppé et autres Louis Kling.

Répertoires parodiés tout au long des six mouvements de ce quatuor que Hindemith pratiqua depuis la grosse caisse et le violon dans les orchestres militaires pendant la Première Guerre mondiale. Cependant, dès la Marche militaire 606 (Armeemarsch 606 – Der Hohenfürstenberger) introductive au caractère plus insouciant que belliqueux, les morceaux évoquent davantage les kiosques à musique que les défilés martiaux de la capitale des Habsbourg, avec des allusions à des opérettes, des détournements de valses et d’airs populaires, auxquels sont associés des gags notés sur la partition comme Ein Abend an der Donauquelle (Une soirée à la source du Danube) où le second violon et l’alto se séparent de leurs compères pour s’isoler chacun de leur côté – ici à l’abri de la cabine technique placée dans le dos du public – dans l’Intermezzo für zwei entfernte Trompeten (Intermède pour deux trompettes au loin) où s’enchaînent comme des perles les citations, et jusqu’à cette merveilleuse parodie de polka pour deux flûtes piccolo de Kling par les violons en perpétuelles harmoniques du cinquième mouvement... Voilà donc une burlesque qui réjouit la salle comme le plateau.

Moins convaincante s’avère la seconde partie du concert, avec le seul Quatuor n°6. Écrite en 1943 pour le Quatuor de Budapest dans la tonalité de mi bémol majeur, cette œuvre aux contours classiques, voire pompeux, est à la limite de l’ennuyeux. Fugue en entrée, fugato au dessert, voilà qui participe de la réputation de néoclassique qui colle à la peau de Hindemith et jette un voile opaque sur l’inventivité de sa jeunesse qui en avait pourtant fait un modèle anti conformiste dans la création musicale allemande jusqu’au milieu des années 1930, et lui avait valu la haine des théoriciens de la culture nazie. Le quatuor Danel a beau s’y investir sans retenue, l’auditeur reste de marbre face à cet enchevêtrement savant mais froid d’archaïsmes musicaux. Néanmoins, leur magnifique interprétation, leur plaisir non feint de jouer à tous les sens du terme, leur onirisme illuminent le concert, avec un premier violon (Marc Danel) en perpétuelle lévitation et un alto (Vladimir Bogdanas) aux sonorités inouïes.

BS