Chroniques

par bertrand bolognesi

Tugan Sokhiev et l’Orchestre national du Capitole
œuvres de Berlioz, Debussy et Ravel

Théâtre des Champs-Élysées, Paris
- 24 mai 2006
Tugan Sokhiev dirige l’Orchestre du Capitole à Paris
© patrice nin

Il y a un an, la Ville de Toulouse nommait à la tête de son Orchestre national du Capitole un nouveau chef, le jeune Tugan Sokhiev qui dirige dirige ce soir son instrument avenue Montaigne dans un programme exclusivement français. La soirée est ouverte par un Prélude à l'après-midi d'un faune où se font remarquer un équilibre pupitral plutôt soigné, une respiration qui prend son temps jusqu'à peu à peu exalter le lyrisme de cette page, tout en révélant chaque solo sans totalement le mettre en exergue du discours. À n'en pas douter, la couleur générale est symboliste, dans un phrasé étonnamment aéré qui magnifie Mallarmé via Rimski-Korsakov plus que par Debussy, peut-être.

En héritier de la technique et du style de Temirkanov – qui d’ailleurs dirigeait récemment la formation toulousaine [lire notre chronique du 10 avril 2003] –, Sokhiev continue d'illuminer l'orientalisme de Shéhérazade en faisant sonner la phalange toulousaine comme un orchestre russe. Le mezzo-soprano Magdalena Kožená arborant une tenue de conte arabe. Si la diction du français s'avère irréprochable, on regrette des aigus un peu courts et comme livrés sans emballage dans Asie. Par ailleurs, le timbre est égal sur toute la tessiture, la couleur avantageusement expressive, enfin incontestable l'art de la nuance. Après une Flûte enchantée efficace, L'indifférent ne supporte guère de pesants glissandos, posant un réel problème de style. L'estimable qualité d'écoute dont font preuve les deux artistes leur est fatale : le précautionneux effort de la chanteuse ralentit la mélodie et rencontre la tendance du chef à s'attarder, de sorte que la fin du premier épisode s'en trouve étirée jusqu'à la dislocation, que le second perd la légèreté souhaitable et que le dernier révolutionne sa métrique. Bref, les Trois poèmes de Ravel n'y gagnent rien.

C'est en revanche une Symphonie fantastique autrement intéressante que livre Tugan Sokhiev, poursuivant de mettre en valeur les qualités indéniables de la petite harmonie de l'Orchestre national du Capitole de Toulouse. Rêverie et passions est posément contrasté, dans une sage articulation, tout en profitant déjà d'un grave musclé que soutient un beau travail de nuances. L'introduction du Bal sera très progressive et affirmera une sonorité assez monolithiquement festive qu'on aurait pu imaginer plus élégante. Techniquement, tout va pour le mieux, mais il manque ce rien de folie qui fait tourner la danse. La Scène aux champs commence à convoquer un engagement plus passionnant, le chef ayant vraisemblablement plus à nous en dire. Farouche, la Marche au supplice prend à son compte l'adjectif de l'œuvre dans une profondeur inouïe que ne contredit en rien un leste Songe d'une nuit de Sabbat dont un soufre non loin du déchaînement envahit le dernier quart, emportant l'enthousiasme du public.

BB