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Chroniques
Tumulus
ballet de François Chaignaud
Projet conçu par François Chaignaud et Geoffroy Jourdain, accueillis en résidence à Bonlieu, Tumulus naquit d’abord du désir de jouer Musik für das Ende, une des premières partitions de Claude Vivier, qui dut attendre un demi-siècle pour être créée, en 2012 à Berlin, par le RIAS Kammerchor. Écrite sur des textes du compositeur en langue imaginaire, ou du moins syncrétique, pour chœur à vingt voix s’exprimant a cappella et avec de petites percussions, la pièce esquisse un rituel qui renouvelle l’arrimage traditionnel de la musique chantée au sens des mots et s’articule autour de la couleur et de la pulsation phonétiques. À rebours d’une polyphonie qui fait converger les voix par la hiérarchie du contrepoint, celle-ci constitue un flux, rhizome de divergences individuelles nouant des affinités et des climax mobiles.
Pour le spectacle Tumulus, les solistes sont au nombre de treize, avec une particularité : un mélange de gosiers de chanteurs et de danseurs, dépassant ainsi les clivages entre les disciplines. En février 2020, après des auditions, un collectif s’est ainsi formé pour « poser les bases d’une pratique commune », développée au fil d’une résidence artistique – par-delà les frontières entre techniques et les contraintes liées à la crise sanitaire. À la fois geste et chant, le résultat rejoint certaines intentions de Vivier qui imaginait l’hypnotique parenthèse de son ouvrage au delà des limites usuelles du concert. Le titre du spectacle fait d’ailleurs écho à la tonalité eschatologique de Musik für das Ende, le terme désignant des tombes qui, jadis, étaient surmontées d’une colline. La scénographie reproduit cette forme au carrefour du mausolée et du paysage : tour à tour, les protagonistes escaladent ce monticule de verdure et traversent le monument dont le cheminement intérieur se termine en trompe-l’œil de tréfonds, dans un perpétuel mouvement aux allures de farandole, que ne démentira pas la chamarre des costumes contribuant à une hétérogénéité en miroir de la matière même de l’œuvre musicale : l’alchimie consiste à la fondre en une cohérence originale.
Autour, le florilège contraste depuis les prémices de la Renaissance, avec le Qui habitat in adjutorio altissimi tiré des Psalmorum selectorum de Josquin (la version originale à vingt-quatre est réarrangée par Geoffroy Jourdain pour l’effectif en présence) ainsi que le Graduale et Si ambulem du Requiem in memoriam Josquin Desprez de Richafort (c.1480-c.1547), ou encore la douceur de la song de Byrd, Lullaby, my sweet little baby, jusqu’au baroque italien avec l’adaptation du Dies irae de la Missa pro defunctis quatuor vocum de Lotti. Entre danse et chant, l’ensemble tisse un original continuum qui dépasse les limites entre les genres, dans une dramaturgie performative qui vaut surtout pour la redécouverte de polyphonies peu jouées.
GC