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Chroniques
Turandot
opéra de Giacomo Puccini
Il y a quelques années, l‘Opéra de Marseille et les Chorégies d’Orange confiaient à Charles Roubaud une nouvelle production de Turandot, donnée au Théâtre Antique, puis dans le bel édifice de la place Reyer. Aujourd’hui, c’est avec plaisir que l’on retrouve la grande sobriété de cette réalisation qui concentre sa dramaturgie sur la rotation hypnotique de la meule centrale, se gardant salutairement des encombrements habituels. Seuls les ornements géométriques de la rampe et le rouge minutieusement choisi de la passerelle réservée aux apparitions de l’Empereur rappellent la Chine – décors d’Isabelle Partiot -, ainsi que les costumes raisonnablement évocateurs de Katia Duflot d’un Orient principalement révélé par la lumière profonde et humide de Marc Delamézière. Ici, l’on évite le trop spectaculaire, y compris dans la décapitation pudique du prince sacrifié, à peine indiquée par l’instant cramoisi d’une brève lueur. Enfin, l’héroïne n’y est pas une figure mythologique exclusivement cruelle et froide : la construction du personnage repose sur une conception plus psychologique, en accord avec la sensibilité de l’époque où l’œuvre fut écrite. S’il paraît évident que le dernier opéra de Puccini contraint les metteurs en scène à affirmer leurs choix tant théâtraux qu’esthétiques, il semble que ceux de Charles Roubaud s’entendent à illustrer avant tout un drame humain plus qu’à transcender un conte terrible.
L’on passera assez vite sur le travail de fosse de Daniel Klajner. Outre que le placement en baignoires des nombreuses percussions convoquées par la partition vient masquer la subtilité du tissu instrumental imaginé par le compositeur, le chef livre une lecture assez terne. On saluera cependant les nets progrès effectués par le pupitre des cuivres de l’Orchestre de l’Opéra de Marseille. De même les interventions du Chœur s’avèrent-elles fiables dans l’ensemble.
Au large cosmopolitisme du plateau vocal répond la garantie d’une diction italienne sans faille où chacun se fait parfaitement entendre, à l’exception du rôle-titre. Par ailleurs, l’Américaine Cynthia Makris possède les moyens vocaux de Turandot sans pour autant en avoir suffisamment cultivé le style. L’aigu est fulgurant, le timbre expressif, la puissance indiscutable, mais l’émission reste trop droite et le chant peu nuancé. Dommage : cette façon de faire vient contredire la mise en scène qui humanise comme aucune autre la princesse.
L’on regrettera également le Mandarin quelque peu engorgé d’André Heyboer. Ce soir, Jean-Marc Borras est un Pang en petite forme, un peu frêle, pas toujours stable et d’un format vocal moindre que celui des deux autres ministres, ce qui nuit à l’équilibre de leurs échanges. En Ayk Martirossian, Timur trouve un interprète bien choisi qui lui offre un timbre chaleureux, une couleur idéale et un style indiscutable. À la grande fermeté de l’impact vocal de Martial Defontaine (Pong) répondent les phrasés irréprochables, l’art de la nuance et la présence scénique satisfaisante d’Olivier Heyte (Ping).
Enfin, les deux vedettes de la soirée sont Liù et Calaf. Le Coréen Jeong Won Lee campe un prince étranger avec autant de crédibilité que d’ardeur et de vaillance. Si l’on décèle à l’Acte II que les richesses de sa voix ne sont pas encore optimisées, c’est encore plus évident au début du suivant : il y a autre chose dans cet organe, un espace plus ample, plus généreux, qui demande qu’on l’explore autrement que spinto ; cela dit, l’unité de la couleur est un grand atout, assurément. Quant à l’esclave sacrifiée, elle est ici remarquablement incarnée par le soprano roumain Nicoleta Ardelean à l’émission souple, au legato délicieux, qui ferait pleurer les pierres.
BB