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Chroniques
Turandot
opéra de Giacomo Puccini
C’est d’abord la fosse qui frappe dans cette soirée puccinienne. À la tête des Orchestra e Coro dell'Arena di Verona, nous retrouvons maestro Francesco Ivan Ciampa, décidément inspiré. Après une Carmen qui révélait hier des subtilités insoupçonnées [lire notre chronique de la veille], le jeune chef cisèle adroitement l’opéra monumental du Toscan dont il fait goûter chaque finesse tout en respirant d’une manière complétement lyrique, avec les chanteurs. Avec lui, impossible de séparer : les voix sont dans l’orchestre, l’orchestre est avec les voix. La précision du résultat mérite haut la main les nombreux bravi qui fuseront de l’amphithéâtre roman, lorsque Ciampa vient saluer.
Les prestations vocales font tout le reste, chaque soliste ayant été vraiment bien choisi. Rebeka Lokar affirme aisément la puissance de la princesse Turandot, sans s’en tenir là : le travail de la nuance est minutieux, grâce à des moyens qui permettent tout. Pas de dureté ni de métal dans ce timbre, mais une lumière qui sait se montrer d’abord aveuglante, pour les énigmes, puis angoissante dans la rage et la peur provoquées par la situation imprévue, enfin généreuse lorsque l’amour triomphe. Le soprano slovène signe une belle incarnation qui la consacre grande dame de l’opéra. Dans l’inflexion de Murat Karahan, comme dans son physique, il y a l’audace, l’indignation, la force et la miséricorde, le désir de vaincre ce qui est mal pour le rendre bon. Le jeune ténor turc offre un Calaf extraordinaire, passionnant, émouvant, sans abuser du portamento (la dignité de son Nessun dorma !...). On la félicitait déjà pour sa Frasquita d’hier, mais sa Liù est pur bijou ! On retrouve l’excellente Ruth Iniesta dans la partie de l’humble amoureuse sacrifiée qu’elle sert d’une couleur incroyable de tendresse, souple, immaculée.
Autre pointure de cette soirée inoubliable, la basse Giorgio Giuseppini, impressionnant et noble Timur favorisé par une clarté d’émission qui transmet toute la tristesse du personnage [lire nos chroniques du 5 juillet 2017, du 9 avril 2006, du 22 mai 2005 et du 21 février 2004. À l’aide d’un métier précieux, Antonello Ceron assume encore un Imperatore incisif et honorable dont le souffle est parfaitement géré. Les trois ministres ne sont pas en reste, avec le Pang très musical de Marcello Nardis [lire nos chroniques des 29 avril et 13 août 2017], Federico Longhi en solide et drôle Ping, enfin le très sonore Pong de Francesco Pittari, applaudi la semaine dernière à Milan [lire notre chronique d'Il pirata]. Le charme de la voix malléable d’Ugo Tarquini est idéal en Principe di Persia. Un regret, Gianluca Breda est un bon chanteur, une vraie basse qu’il n’était pas judicieux de distribuer en Mandarino : la couleur est trop sombre et le registre aigu se tend – une seule erreur, ce n’est pas beaucoup.
De la Turandot de Franco Zeffirelli (reprise par Stefano Trespidi), tout a été dit. Dans les costumes de conte d’Emi Wada et les décors emphatiques de l’illustre réalisateur florentin, avec cet incroyable palais doré aux dimensions gigantesques, les maîtres d’œuvre de ce superbe spectacle donnent vraiment à rêver. Tout fonctionne comme par miracle, y compris les mouvements chorégraphiques de Maria Grazia Garofoli (quand on réalise tout ce monde sur la scène !...). Alors, oui, certains dirons c’est kitsch, ou c’est ceci et c’est cela : c’est tout ce qu’on voudra, mais on ne va tout de même pas s’empêcher de rêver avec le magicien Zeffirelli !
KO