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Chroniques
Turandot
opéra de Giacomo Puccini
Après le fort bel Eduardo e Cristina [lire notre chronique du 17 août 2023] qui clôturait notre séjour à Pesaro marqué par deux autres représentations du quarante-quatrième Rossini Opera Festival [lire nos chroniques d’Aureliano in Palmira et d’Adelaide di Borgogna], j’ai pris, à l’aubevia le château de Montegridolfo, la route vers l’Ouest pour gagner d’abord le Musée archéologique d’Arezzo, cité étrusque où passer cette belle journée d’entre-deux spectacles. Les villes italiennes ont ceci de formidable qu’elles offrent leurs trésors à quelques heures les unes des autres : aujourd’hui, je remontai vers le Nord-Ouest, et deux heures plus tard je déjeunai au cœur des beautés pisanes – quelle merveille ! Après quoi, seuls restaient quelques vingt-cinq kilomètres pour atteindre le Festival Puccini.
Torre del Lago, village toscan ainsi dénommé pour sa proximité avec le lac Massaciuccoli où le célèbre compositeur, séjournant dans la villa qu’il y fit construire en 1899, aimait venir chasser le gibier à plumes, pourrait se résumer à sa charmante église et aux plages tyrrhéniennes qui montent à Viareggio, n’était l’existence du Festival Puccini qui, sur les gradins de son théâtre de plein-air, draine plus de mélomanes que cette rive méditerranéenne attire de touristes. C’est le 24 avril 1930 qu’on joua pour la première fois un opéra du maître sur une scène provisoire montée sur pilotis, devant sa maison, à l’initiative du dramaturge Giovacchino Forzano (1883-1970), le librettiste de Gianni Schicchi et de Suor Angelica. Maestro Mascagni dirigeait cette Bohème qui inaugura l’événement, suivi l’année suivante par Madama Butterfly. Interrompu par la tension politique puis par la guerre, il revient en fêtant les vingt-cinq ans de la disparition de Puccini avec La fanciulla del West. Installé non loin du port en 1966, il assume alors une activité estivale chaque année. La création du Parco della musica où est construit son Gran Teatro all’aperto, surnommé Teatro dei Quattromila parce que sa jauge est de trois mille deux cents places, date de 1990. À l’heure actuelle, le Festival Puccini en est à sa soixante-neuvième édition.
Ma première soirée se place sous le signe de Turandot, reprise d’une production de Daniele Abbado (le fils de Claudio…) dont on salua plusieurs fois le travail [lire nos chroniques d’Oberon, Nabucco et Macbet]. Dans une ambiance plutôt onirique, la mise en scène ne définit pas l’époque ni vraiment le lieu de l’action – après tout, les contes se passent-ils quelque part ? Passé ce parti-pris, la proposition, sans être totalement attendue, reste assez traditionnelle. Elle respecte toujours l’œuvre, donnée avec le final de Luciano Berio (2001) et non avec l’un ou l’autre de ceux d’Alfano (1926). Dans la scénographie d’Angelo Linzalata qu’il a soin d’éclairer lui-même, les costumes inventifs de Giovanna Buzzi jouent de couleur et de lumière, dans une dominante rouge comme le sang et comme la Chine, tandis que la chorégraphe Simona Bucci instaure un cérémonial grandiose aux scènes-phares. Alors que les trois ministres étaient d’abord traités sur un mode clownesque, en enlevant leur masque ils font entrer la tragédie du réel dans ce qui s’annonçait comme simple divertissement. Avec des moyens efficaces, Abbado fait mouche.
Au chef nord-américain d’origine mexicaine, Robert Treviño, il revient de diriger cette Turandot, avec la fin de Berio, si intéressante [lire nos chroniques des productions de David Pountney, de Federico Grazzini et de Daniel Kramer], à la tête des Orchestra e Coro del Festival Puccini (chef de chœur : Roberto Ardigò). Son interprétation, très nuancée quoique nettement symphonique, affirme un raffinement appréciable et un grand sens du drame. Et croyez-moi, ce n’est pas chose facile, pas du tout ! Car il faut y placer autant de rigueur et d’austérité, propre au rituel de la cour représentée et à ses circonstances sanglantes, que de sentiment pour la révélation de l’amour à la princesse rétive et, surtout, pour le suicide de la jeune esclave, ce soir fort émouvant d’un point de vue strictement musical.
La distribution souffre toutefois d’un certain manque d’unité. Il n’y a rien à reprocher au Mandarin sûr et clair de Francesco Auriemma, ni au fiable Marco Montagna qui campe un Altoum élégant, après avoir prêté ses traits au Prince Perse sacrifié. Encore moins aux bons ministres, trois voix qui se marient parfaitement : on applaudit Simone Del Savio, baryton charismatique et au timbre soyeux en Ping [lire nos chroniques d’Otello et de La Cenerentola], le ténor Andrea Giovannini en Pang, vaillant malgré un aigu parfois instable [lire nos chroniques d’Il trittico, Falstaff à Parme, Agnese et La forza del destino à Parme], et l’impact flatteur de Marco Miglietta, Pong bien projeté. Alors, qu’est-ce qui ne va pas si tellement bien ? Le Timur d’Antonio Di Matteo ? Sûrement pas ! Sa voix est somptueuse, c’est indéniable, ce qui sert magistralement le personnage, avec une noblesse idéale [lire nos chroniques de Die Zauberflöte à Toulon puis à Macerata, de Simon Boccanegra et de Falstaff à Aix-en-Provence]. Alors ?...
C’est qu’il y a aussi deux grands rôles féminins dans cet opéra, et s’ils ne sont pas soigneusement distribués, le préjudice n’est pas mince. Émouvante si l’on s’en tient à sa prestation théâtrale, la Liù d’Emanuela Sgarlata est mal assurée quant à la ligne de chant, avec un aigu tremblotant, sans compter qu’elle ne nuance pas, s’exprimant toujours dans un mezzo-forte indifférent. Le soprano Sandra Janušaitė détient de grands moyens vocaux, on ne peut pas dire le contraire ; pourtant, sa Turandot ne convient pas : l’aigu siffle violemment, le grave est aboyé, sans que personne soit sûr de la langue qu’elle emploie. Il ne suffit pas de crier pour faire une bonne princesse chinoise. Mais tout n’est pas si vilain : il y a un Calaf !
Et c’est un vrai Calaf, oui. D’une voix parfaitement conduite, dans un chant bien directionnel, il déploie un timbre doré au volume généreux. Et quels aigus ! Ils sont toujours amenés dans une logique infaillible, venus d’une assise solide, d’une technique sévèrement construite. Dans le caractère héroïque du rôle, ce ténor-là nuance avec une grâce tombée des cieux. Mais qui est donc ce Principe ignoto miraculeux, en découvrirez-vous le nom avant le lever du jour ? Il s’appelle Amadi Lagha [lire nos chroniques de Luisa Miller, La forza del destino à Toulouse et Tosca] et il chantait déjà le rôle à Toulon il y a quatre ans (voir plus haut). Grâce à lui, on ne quitte pas le Quattromila oreilles fâchées, merci.
KO