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Chroniques
Turandot
opéra de Giacomo Puccini
Après la Turandot de Barcelone en voyage à Montpellier [lire notre chronique], nous voyons celle qu’Antoine Selva signe pour Avignon. Si l’une offre une option plutôt cinématographique, c’est dans le monde de la peinture que nous transporte celle-ci. Dès le lever du rideau frappe la grande profondeur de champ qu’offre cette scène, avec une muraille sur la gauche, une première scène à droite, au fond, un escalier, une seconde scène devant nous, en cercle, dans l’omniprésence de la lune. Pour l’Acte II, l’escalier prendra beaucoup plus l’espace, de sorte qu’il fera naître un troisième espace sur le plateau, permettant des jeux ici et là, dans un grand tableau orientaliste où l’on verra l’Empereur Altoum jouer aux échecs avec un garçonnet pendant la scène des énigmes dont il se désintéresse totalement.
L’ambiance générale est plutôt glauque, dans une lumière savante qui dépose quelques rayons sur les diverses aires de jeu, créant une atmosphère lourde d’humide métropole asiatique. On y rencontre une valetaille à la tête systématiquement couverte, masquée – seul le bourreau a le visage découvert : il n’est ici que la mort à se laisser franchement regarder –, une métaphore de l’horreur qui trouvera son apothéose dans l’effeuillage d’un objet mystérieux durant les énigmes, finalement livré sur l’aveu amoureux qui sort Turandot de sa légendaire cruauté à la fin de l’ouvrage : un grand miroir. L’idée est poétique et nous rappelle joliment que l’opéra était d’abord un conte et que tout conte est bon à méditer.
Dans l’ensemble, la proposition est sobre, faisant parfaitement illusion sans recourir à trop d’effets horrifiques. En revanche, elle suggère beaucoup de choses à partir desquelles l’imagination du public, que l’on sait féconde, a pu créer les frémissements nécessaires. Ici, pas d’évocations érotiques : la princesse demeure une vierge qui ne prend pas même de plaisir à voir tomber les têtes. On pourra qualifier cette réalisation de traditionnelle et efficace tout en s’affirmant inventive et respectant le happy end. En revanche, le jeu à proprement parler est trop absent ; les personnages s’occupent surtout de leurs voix, délaissant le théâtre.
La distribution avignonnaise est satisfaisante. Les chanteurs ont été choisis avec le plus grand soin, et correspondent assez idéalement aux rôles qu’ils incarnent. On citera Wojtek Smilek donnant un Timur tout à fait honorable, un trio de ministres parfaitement complice, chanté par Martial Defontaine, Florian Laconi et Jean-Sébastien Bou qui confirme une fois de plus les espoirs qu’on put mettre en son travail, et un Altoum fort intéressant servi par le timbre clair de Jean Delescluse, au legato facile et au chant intelligemment mené, dont on saisit le moindre mot, même lorsqu’il est émis de la scène des échecs (Acte II) grâce à une bonne projection qui reste discrète et à sa place. Si le Mandarin de Jean-Louis Serre s’avère quelque peu confidentiel et falot, la Liù de Rié Hamada affirme une voix d’une grande souplesse, au service d’une expressivité touchante.
On retrouve Janice Baird qui fut déjà la Turandot de Strasbourg, il y a trois ans : la voix est fabuleusement présente, avec une vibration généreuse, mais un bas-médium engorgé. Il semble que la chanteuse ne soit pas, cet après-midi, dans une forme permettant d’apprécier ses moyens et qualités. Enfin, nous avons aujourd’hui un excellent Calaf : si le ténor Jean-Pierre Furlan commence le premier acte d’un chant assez précautionneux, avec une émission très directionnelle qui peut parfois gêner, il libère un timbre d’une grande richesse dès l’acte suivant, doté d’une couleur attachante, et développe un style parfaitement italien comme on en entend trop rarement. Au III, il mène un Nessun dorma de toute beauté.
Les Chœurs et la Maîtrise de l’Opéra-Théâtre d’Avignon et des Pays de Vaucluse associent à l’aventure les Chœurs de l’Opéra de Toulon pour une prestation d’une franche vaillance, bien que parfois approximative (quelques flottements chez les ténors). En fosse, Alain Guingal,à la tête de l’Orchestre Lyrique de Région Avignon-Provence, propose une interprétation dynamique, avant tout soucieuse de porter le drame, ce qu’elle réussit fort bien.
BB