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Chroniques
Turandot
opéra de Ferruccio Busoni
Au début des années dix, quelques mois avant que soit joué dans sa propre maison Pierrot lunaire sous la direction de son créateur (17 juin 1913), un spectacle de commedia dell’arte conforte Ferruccio Busoni (1866-1924) dans un projet de comédie lyrique ayant pour figure principale un personnage de théâtre. Le livret d’Arlecchino, oder Die Fenster est achevé en 1914, mais la guerre retarde la composition, de même qu’elle rend impossible sa création à Berlin ou durant l’exil nord-américain [lire notre critique du DVD]. Elle a lieu finalement au Stadttheater de Zurich le 11 mai 1917, suivie aussitôt par celle de Turandot – du nom de la princesse que Puccini, près d’une décennie après, rendrait plus populaire encore.
Écrits en complément de programme de son « theatralisches Capriccio », ces deux actes s’inspirent de sa propre musique de scène écrite en 1905 pour la fable chinoise (fiaba cinese) de Carlo Gozzi (1720-1806) que Max Reinhardt devait mettre en scène. Dans le travail de l’Italien qui, par son esprit fantasque, souhaitait contrebalancer le réalisme qu’affectionnait Goldoni, Busoni trouve matière à détruire l’impasse de la vraisemblance que cultive la convention de l’opéra. Une centaine de jours lui suffit pour terminer l’ouvrage à partir de sa propre adaptation allemande de la pièce de 1762.
Comme pour son premier opéra Die Brautwahl, le compositeur cultive une esthétique romantique mêlée de distance ironique et d’interventions grotesques qui ne permettent ni l’indentification ni l’hypnose du public. En ce sens, la proposition du chorégraphe catalan Cisco Aznar est une réussite, qui ouvre le spectacle par dix minutes d’un film en noir et blanc incrusté de touches écarlates. Côtoyant des stars d’Hollywood, les futurs protagonistes de l’opéra apparaissent dans des situations qui mènent à penser que ce dernier n’est que le rêve (en trois dimensions) d’un privé en cours d’enquête.
D’abord cinématographique, une poésie pétrie de rire et d’angoisse prend peu à peu forme sur scène : des spectres décapités tentent de récupérer leur tête en grimpant à la corde ou circulent à bicyclette, un héros arrive aux portes de Pékin à bord d’une tasse géante qu’entourent des soldats bâtis comme des tuiles de mah-jong, de petites vieilles bossues aux lunettes noires entament une danse, etc. Apprentis-artistes de l’Académie Fratellini et danseurs contribuent à dynamiser sans répit (trop parfois) un espace dont la vidéo n’est jamais vraiment absente – montrer la vie privée du rôle-titre, loin de son double glacial.
Dans cet univers présentant « une fluidité tout à fait conforme à celle de la partition » – dixit Daniel Kawka, chef combinant relief et moelleux –, tous les solistes sont incroyablement bien distribués : Sabine Hogrefe (Turandot sans failles), Micha Schelomianski (Altoum ample et délicat), Diana Axentii (Adelma onctueuse), Thomas Piffka (Kalaf tendre et brillant), Bernard Deletré (Barak sonore), Loïc Felix (Truffaldino souple et stable), Josef Wagner (Pantalone corsé), Igor Gnidii (Tartaglia bègue mais baryton vaillant) et Stéphanie Loris (Reine-Mère de Samarcande). Le Chœur et l’Orchestre de l’Opéra de Dijon se montrent fiables.
LB