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Chroniques
Turandot
opéra de Giacomo Puccini
Après les proportions impressionnantes de la production pékinoise en visite au Stade de France, il y a quelques semaines [lire notre chronique du 28 mai 2005], c'est une nouvelle Turandot que l'on voit au Palais Nikaia, investi pour l'occasion par les équipes de l'Opéra de Nice. Après la Carmen qu'il y avait montée il y a deux ans, Paul-Émile Fourny a imaginé de représenter ce cruel conte orientaliste dans un décor fait de falaises, de ruines et de crânes, d'un gong surplombant un plan d'eau et d'une passerelle menant à l’étrange machine aiguiseuse de sabres, dans une lumière parcimonieuse propre à souligner la lourde atmosphère du drame. Ainsi Jacques Chatelet révèle-t-il par ses éclairages l'angoissant dispositif de Poppi Ranchetti, également auteur des costumes. Après un préambule muet, durant lequel une fine neige tombe lentement sur le plateau, tandis que le peuple gagne l'espace, se réunit autour des braseros, Marco Guidarini fait retentir les premiers accords de la partition de Puccini, signalant immédiatement l'effroi des protagonistes.
Il se passe beaucoup de choses dans cette mise en scène, de sorte que l'urgence du désir du Prince Inconnu y paraît tant impérieuse qu'évidente. Certains partis pris surprennent, comme l'omniprésence de la mort et un ballet de petites créatures un rien « cartoonesques » qui se laissent aisément oublier. On rencontre quelques belles idées, comme lorsque le peuple constitue une chaîne de force pour tenter de retenir Calaf : des ombres blanches, venues d'ailleurs, amènent le gong pour ouvrir la scène fatidique, le Prince se libère des hommes et rejoint la marche invincible de son destin. Plus tard, la grande scène des ministres – trois drôles de perroquets colorés – qui ouvre le second acte s'avère sobre et efficace, de même que saisit l'apparition de l'Empereur, tête chantante sertie dans un sarcophage d'or. Enfin, le moment-clé des épreuves est si calmement posé qu'il gagne une effrayante nudité.
Partant que la dimension des lieux impose une représentation sonorisée, il conviendra de relativiser notre impression en ce qui concerne la partie musicale de cette Turandot. Il se trouve que les avantages et inconvénients rencontrés au Stade de France sont ici parfaitement inversés : alors que l'orchestre y était totalement brouillé et les voix plutôt bien servies, les solistes de la production niçoise ne sont guère flattés face à un son de fosse magnifiquement restitué.
Quoi qu'il en soit, on remarque le Mandarin ferme et franc de Mario Bellanova, l'attachant Pong de Gilles San Juan et Jean-Luc Ballestra qui campe un Ping un rien précautionneux pour commencer mais qui finit par prendre ses marques, affirmant un chant soigné au phrasé irréprochable, qui saura rendre toute sa poésie à l'évocation de la maison –Ho una casa nell'Honan – dans une infinie douceur, ou encore caresser plus tard le suave Principessa divina.
Le rôle de Calaf est confié au ténor chinois Warren Mok dont on ne parvient guère à se faire de véritable idée. L'émission vocale paraît parfois étrange, voire gutturale, l'aigu est souvent fulgurant et le médium voilé : vraisemblablement, la sonorisation vient malencontreusement accentuer des petits soucis de placement qui, sans elle, ne prendraient sans doute pas le devant de la scène. On retrouve Inva Mula en Liù : la ligne de chant est splendide, l'art de la nuance et l'expressivité évidents, sans jamais accuser le moindre excès d'emphase. Enfin, Giovanna Casolla assume le rôle-titre qu'elle a si souvent et magnifiquement chanté.
En fosse, Marco Guidarini conduit une interprétation à la fois tendue et colorée, frappant droit au but tout en servant avec une grande énergie chacune des situations de l'ouvrage. Outre d'offrir un somptueux travail de nuances, suivant la dramaturgie comme on respire, il prend la peine d'accompagner jusqu'à sa totale disparition le climat de chaque scène sans pour autant perdre le fil général de l'action.
BB