Chroniques

par bertrand bolognesi

UBS Verbier Festival Orchestra
Vadim Repin et Paavo Järvi

où Goethe vainquit l'orage...
Verbier Festival and Academy / Médran
- 27 juillet 2006
ciel d'orage sur le concert, au Festival de Verbier, par Bertrand Bolognesi
© bertrand bolognesi

Le vent se lève. Les masses nuageuses, toujours plus sombres, tournoient devant le Mont Gelé. Sur la station, la menace progresse. Bientôt le tonnerre introduit idéalement le programme de la soirée dont il souligne la cohérence. Car si Iouri Temirkanov avait imaginé de faire évoluer ce concert d'un univers fantastique à celui d'une fantaisie contemporaine sur des thèmes anciens – en l'occurrence la Carmen Suite pour cordes et percussion écrite en 1967 par Rodion Chtchédrine, inspirée de l'opéra de Bizet – Paavo Järvi, qui remplace le Tcherkesse, intègre Dukas à une veine romantique en préférant jouer la Neuvième de Schubert, veine comprise jusqu'en ses plus vastes retombées.

Le scherzo symphonique L'Apprenti sorcier qui, du jour au lendemain, fit connaître Paul Dukas alors âgé de trente-deux ans, fut créé en 1897, exactement cent ans après les quatorze strophes de la non moins célèbre ballade de Goethe, Der Zauberlehrling. Quoi de plus naturel que des trombes d'eau s'abattent sur le Médran un quart d'heure avant l'inlassable variation des balais porteurs de seaux ? Malgré un indéniable travail de couleurs mettant particulièrement en valeur chaque solo de l'UBS Verbier Festival Orchestra, Järvi force le trait, « décodant » l'expressivité d'ailleurs plus illustrative que symboliste de la partition. Certes, l'auditeur ne pourra pas se tromper de sujet, ce qui le cantonne dans le plus passif et inintéressant des rôles, consistant à observer que tous les ingrédients soient bien au rendez-vous, plutôt que de pouvoir donner libre cours à son imagination.

Si le romantisme de la fin du XIXe siècle français s’est tourné vers les thèmes fantastiques, une autre de ses sources regardait vers l'Orient – entendons par là tout ce qui n'est pas métropolitain, c'est-à-dire autant la Chine que le Maroc, voire les Amériques, en tout cas plus certainement le Sud qu'exclusivement le Levant. C'était, au fond, une seule et même chose, l'évocation de la magie et de l'occulte en général témoignant d'un identique désir d'ailleurs, un élan plus ou moins absolu vers d'exotisme. En 1875, l'année même où l'Opéra Comique créait Carmen, Édouard Lalo, sept ans après avoir achevé l'opéra Fiesque d'après le fort romantique Schiller, livrait une Symphonie espagnole qui constituera son opus 21. Vadim Repin gagne la scène pour honorer une partition que Lalo écrivit pour violon (son instrument) et orchestre. Là, rien ne va plus…

Certes, on constate une fois de plus la déconcertante fluidité de Repin, mais comme de très loin, le chef se montrant peu soucieux de l'équilibre entre soliste et tutti. L'on sait pourtant quel grand son possède le Russe ! Par ailleurs, les bois du premier mouvement ne sont pas en place. Dans le suivant domine une étrange sensation de sur-place, laissant supposer non seulement que le courant ne passe pas entre soliste et chef, mais que ce dernier ne préviendrait pas à transmettre ses intentions aux jeunes musiciens de l’orchestre. Bref, le Scherzando ne prend pas, pas plus que le trop lourd Intermezzo où Repin préfère jouer la carte inverse, celle de la plus convaincante élégance, au risque de ne pas se faire toujours entendre. De même chante-t-il somptueusement l'Andante, invitant à la méditation, après une fragilité malvenue de la première attaque de cuivres. Enfin, dans le Rondo final, il souhaite manifestement avancer, poussant irrésistiblement le chef vers un tempo moins endormi. Mais aucun n'en paraît plus « dans son assiette », leur lecture laissant le public sur sa faim. De fait, deux mouvements de cette Symphonie espagnole seront repris en bis, une légèreté inattendue sachant alors se glisser dans une interprétation radicalement différente.

Après l'entracte retentit la musique d'un des plus fervents admirateurs de la poésie de Goethe dont il s'inspira tant : Franz Schubert, dont on donne la Symphonie en ut majeur n°9 D944. Miracle !... Dès l'Andante introductif, on remarque un travail minutieux et flatteur de chaque pupitre, une exemplaire gestion du crescendo initial, jusqu'à l'extase décisive qui ouvre sur le corps du premier mouvement (Allegro ma non troppo) où des contrastes à peine accusés dessinent une belle dynamique à l'élégance un rien musclée. On saluera la rare excellence de l'unisson contrebasses-violoncelles – on ne sait que trop si c'est difficile à obtenir ! – dans l'Andante con moto, où les soli de bois se détachent délicatement de la marche. Paavo Järvi accorde un digne relief aux timbres, révélant de nombreux détails qui trop souvent ne retiennent pas l'attention de ses confrères. D'une tonicité toujours en éveil, son approche ménage un impact formidable au point d'arrêt qui suit la clé de voûte tragique de l'épisode. Par delà la hargne beethovenienne des cordes, des échanges lumineux font bondir et virevolter un Scherzo d'une santé déconcertante avant que le Finale s'affirme dans une effervescence un rien pompeuse, encore héritière du classicisme. Décidément Sturm und Drang, cette remarquable interprétation de laNeuvième clôt la soirée sous un ciel étoilé.

BB