Chroniques

par irma foletti

Umberto Giordano | Andrea Chénier (version de concert)
Amartüvshin Enkhbat, Riccardo Massi, Anna Pirozzi, Sophie Pondjiclis, etc.

Chœur et Orchestre de l’Opéra national de Lyon, Daniele Rustioni
Auditorium Maurice Ravel, Lyon
- 15 octobre 2024
Daniele Rustioni  dirige ANDREA CHÉNIER (Umberto Giordano)...
© dr

Après Adriana Lecouvreur (Cilea) la saison passée [lire notre chronique du 3 décembre 2023], l’Opéra national de Lyon et le Théâtre des Champs-Élysées (Paris) proposent en coproduction un autre grand titre du répertoire vériste, soit Andrea Chénier d’Umberto Giordano. Cette exécution de concert, donnée dans le vaste Auditorium Maurice Ravel, précède de trois jours la soirée parisienne de vendredi. Devant un plateau vocal très relevé et de niveau international, assurément, il est regrettable de constater le faible taux de remplissage de la salle… une fois encore « les absents ont toujours tort » !

Les trois chanteurs principaux constituent, en effet un trio majeur, a priori rompu à ce répertoire fort exigeant en termes de projection vocale et d’endurance. C’est particulièrement vrai pour Anna Pirozzi et Amartüvshin Enkhbat, distribués respectivement en Maddalena di Coigny et Carlo Gérard. Le soprano italien compose d’emblée un rôle au caractère affirmé, qui convient idéalement à ses larges moyens [lire nos chroniques d’I vespri siciliani, Macbet à Turin et à Parme, Manon Lescaut, Il trovatore et Aida]. L’artiste sait aussi varier par de belles nuances, entre notes filées pianissimo et aigus envoyés à pleine puissance, comme au cours du grand air du troisième acte, La mamma morta, où le chant oscille en quasi-continu entre les nuances forte-piano. Le baryton mongol est, quant à lui, bien plus que le phénomène vocal que lui confère sa puissance hors norme. De qualité égale sur toute la tessiture, sa voix possède un noble grain qui en fait l’un des barytons Verdi les plus recherchés à l’heure actuelle [lire notre chronique de Nabucco]. Il fait passer l’émotion dès son entrée en scène lorsque, dans l’air Son sessant’anni, o vecchio, che tu servi, il s’apitoie sur le triste sort de serviteur de son père. Puis sa grande scène de l’Acte III, Nemico della patria, constitue bien l’un des sommets de la soirée, d’un style royal et au chant d’une ampleur parfois considérable.

Le ténor Riccardo Massi défend vaillamment le rôle-titre, aidé par sa confortable moitié inférieure du registre, ainsi que par des aigus émis avec générosité, dès l’air d’entrée Un dì all’azzurro spazio. Le quatrième acte le met à rude épreuve, après Come un bel dì di maggio, air déroulé avec goût, pour mener ensuite à bien le duo final avec Maddalena, passage assez meurtrier vocalement, d’un format clairement dramatique. Si Pirozzi domine ici largement en termes de décibels, Massi conserve suffisamment de ressources pour parvenir au terme de l’ouvrage, assumant avec ses moyens les passages les plus spinto [lire nos chroniques de Tosca, La Gioconda, Simon Boccanegra et La fanciulla del West]. Les autres rôles sont fort bien défendus, constituant un cast de qualité homogène. Thandiswa Mpongwana fait entendre une jolie voix en Bersi, ayant néanmoins tendance à disparaitre derrière l’orchestre quand celui-ci monte en volume [lire nos chroniques de Die Frau ohne Schatten et de L’affaire Makropoulos]. Comtesse de Coigny à l’Acte I, Sophie Pondjiclis se montre plus émouvante en Madelon au III, dotée d’un air à tirer les larmes, quand, après avoir perdu son fils Roger pour la cause révolutionnaire, elle s’apprête à envoyer combattre son petit-fils Roger Albert [lire nos chroniques de Der Rosenkavalier, Die Schule der Frauen, Pénélope, Macbet à Paris, La Cenerentola ossia La bontà in trionfo, Maria Stuarda, Amadigi, Eugène Onéguine, Adriana Lecouvreur et On purge bébé]. Les voix bien timbrées de Pete Thanapat et de Kwang-Soun Kim complètent, respectivement en Roucher et en Fouquier-Tinville [sur le premier, lire nos chroniques de Tannhäuser et d’Hérodiade ; sur le second, celle d’Irrelohe]. Il faut aussi indiquer la participation de plusieurs titulaires de la production de Wozzeck (Berg) donnée jusqu’à la veille à l’opéra : Robert Lewis (L’Abbé), Alexander de Jong (Fléville, Mathieu), Filipp Varik (L’Incroyable) et Hugo Santos (Dumas, Schmidt).

Au pupitre de Wozzeck depuis le 2 octobre [lire notre chronique de la représentation du 12 octobre 2024], Daniele Rustioni change radicalement de répertoire avec ce fleuron du vérisme. Il impulse son énergie à l’Orchestre de l’Opéra national de Lyon, les musiciens ayant tout de même tendance à se laisser plusieurs fois emporter par l’enthousiasme jusqu’à couvrir les chanteurs, dans cette acoustique favorable aux instrumentistes. La musique nous en met plein les oreilles, avec un brillant indéniable, comme le crescendo final qui accompagne le duo Maddalena-Chénier. Les artistes du Chœur maison, aux attaques très précises, ont été sérieusement préparés par Benedict Kearns, aussi bien pour le charmant ensemble des bergers et bergères du I que pour interpréter au III le peuple assoiffé de sang.

IF