Chroniques

par delphine roullier

Un ballo in maschera | Un bal masqué
opéra de Giuseppe Verdi

Opéra national de Montpellier / Corum
- 27 février 2004
Alexander Schulin met en scène Un ballo in maschera (Verdi) à Montpellier
© marc ginot | opéra national de montpellier

Si Le bal masqué s’est vu censuré à deux reprises – le lyrisme de Verdi fut sans doute jugé trop ambitieux de vérité à l’époque – la réserve de ton qui conduit l’opéra de ce soir ne tient pas de la sanction, mais explore au contraire l’ingénieux édifice musical. Aussi, l’allure élégante et mesurée promène le regard dans l’atmosphère de la cour du XVIIIème siècle qu’une sobre architecture urbaine boisée, dans les tons bleu-gris, donne à voir. Dans un esprit minimaliste, le metteur en scène Alexander Schulin, en dénudant la scène de tout apparat spectaculaire, focalise l’attention sur le drame que révèleront avec virtuosité la lumineuse direction de Riccardo Frizza et l’expressivité des autres intervenants.

S’inspirant de l’épopée du roi de Suède, Gustave III, mélomane qui encourage avec passion la création musicale dans son pays (c’est d’ailleurs lui qui créé en 1771 la première Académie Royale Suédoise de Musique), Verdi profite du destin magicotragique qui consacre en héros le monarque éclairé, pour servir une trame scintillante de vérité. Une histoire qui mêle amour et amitié dans un même tourment de passion : Gustave III voue un amour total et réciproque à Amelia, – hélas ! femme de son ami. Si l’inconvenance du sentiment pouvait à l’époque déranger la politique de la Sainte-Alliance, on sent ce soir dans l’homme amoureux de ses contradictions une lucidité de ton qui révèle une responsabilité individuelle lourde de sens. Nul hasard, point de destin. Et Ulrica, la diseuse de bonne aventure, est là pour le rappeler. En prophète, elle annonce à Gustave III son devenir : la prochaine main qu’il empoignera sera celle qui l’assassinera. Ulrica dit vrai. Mais à celui venu chercher quelque vérité dans le silence de la raison, la clairvoyance du discours discrédite toute malchance. La vieille est celle qui désigne ce que l’homme refuse de percevoir. Ainsi faut-il regarder pour voir, chercher pour trouver et écouter pour entendre comment Verdi persuade, avec un enthousiasme sans précédent, une humanité aveugle et prisonnière de ses désirs. Et l’aventure du geste trahit en acte la pensée demeurée secrète. A son tour, Amelia, devra cueillir une fleur pour libérer son âme du tourment que, dit-elle, lui impose son sentiment. Et c’est avec Gustave qu’ensemble ils commettront l’irréparable : la mandragore qu’ils cueillent est cette fleur du mal qui pourrait reprendre à son compte :

« Sois sage, ô ma Douleur, et tiens-toi plus tranquille.
Tu réclamais le soir ; il descend ; le voici :
Une atmosphère obscure enveloppe la ville,
Aux uns portant la paix, aux autres le souci ».
(Charles Baudelaire, Recueillement in Les fleurs du mal)

Alors, pour laisser un doute en suspens, les espaces, trompeurs, s’interpénètrent mais le clair-obscur dans lequel baignent les solistes fige davantage encore, telle une photographie, l’instant qu’il faut voir. Dépassant le jeu des masques, rappelons tout de même le titre, la mise en lumière défie l’acte manqué et semble capturer le parcours de l’âme qui semblait alors insaisissable. L’acte est bel et bien avéré, décidé par lui-même. Et Ricardo Frizza, dirige avec éclat la ruse musicale qui aurait pu être de l’ordre du discours si, loin de simuler, elle n’avait stimulé. Bas les masques ! – nous dit-elle encore.

Ainsi, la charnelle prestation de Susan Neves, en Amelia a-t-elle usé de toute sa force expressive pour assumer le sentiment dans la culpabilité d’être. Ses envolées lyriques ont participé avec brio à la saisissante clarté de ce spectacle. Quant à son partenaire, le ténor Ivan Momirov, sa voix a largement manqué de maturité pour un rôle qui, de fait, s’est souvent vu effacé. En revanche, le timbre large et envoûtant d’Ivan Inverardi s’est avéré étonnamment persuasif, tout particulièrement lors de sa première apparition soliste. Retenons spécialement la bouleversante prestation de Virginie Pochon en Oscar, jouant avec une fragile souplesse son rôle virevoltant entre l’enfant et l’androgyne, soutenu d’une voix enjouée qui révèle la complexité de sa figure.

DR