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Chroniques
Un ballo in maschera | Un bal masqué
opéra de Giuseppe Verdi
Au mieux de sa forme, ce soir, l'Orchestre de l'Opéra national de Paris amorce avec grande intelligibilité les premiers pas de ce Ballo in maschera que conduit, sans mauvaise ni bonne surprise, Semyon Bychkov. On appréciera la tonicité du premier tableau où les cordes s'affirment souveraines, la fluidité du trait de harpe (Emmanuel Ceysson) du quatrième tableau et, passant sur l'appui assez caricatural du second, toute la lecture de l'Acte III, plus finement ciselée.
Pour cette nouvelle production que Gilbert Deflo choisit de situer dans l'Amérique de Lincoln – dont l'élection à la présidence des Etats-Unis est exactement contemporaine de la création parisienne de l'ouvrage (1861) –, William Orlandi a réalisé des décors dont la salutaire sobriété s'accorde au relatif dépouillement (le mot est excessif) de la partition verdienne (à la comparer à ses sœurs ainées). Le rideau s'ouvre sur l'hémicycle d'un Conseil que domine l'Aigle imposant, un espace où se jouera la conjuration du dernier acte, tandis que le tableau suivant invite le public à une inquiétante fête yoruba, les faces horrifiques de trois dragons-totems veillant sur la communauté noire réunie autour de la prophétesse Ulrica. Au sombre gibet du second acte, savamment éclairé par Joël Hourbeigt, succède le porphyre d'une élégante colonnade où les gracieux dominos du bal partageront leurs pas sous l'œil multiplié du fameux rapace, signalé par autant de flammes de verre.
Cependant, si cette scénographie ne démérite pas – loin s'en faut : l'esthétique du bal retient l'œil –, le statisme qu'une direction d'acteurs assez floue n'a su éviter ne parvient guère à l'habiter. Cela dit, cette sorte d'effacement du drame favorise la lisibilité d'une mise en scène qui souligne l'existence d'un Code que, sauf à le brandir pour surveiller et punir les petits, les puissants piétinent. L'accès au pouvoir par des voies corrompues, puis l'abus de ce pouvoir à des fins personnelles, sont alors les personnages qui hantent une histoire de cœur qui rejoint le politique (Tom et Sam ne sont pas des maris jaloux).
D'un plateau vocal assez inégal, on gardera la souvenir de l'Ulrica d'Elena Manistina : profondeur de la couleur, évidence du phrasé et plénitude libérée lors de la révélation du destin de Riccardo campe, malgré une stabilité aléatoire du médium, une prophétesse charismatique. Le rôle de Renato trouve en Ludovic Tézier un timbre plus sombre de jour en jour, efficace de prime abord mais, à y regarder de plus près, niant tout un aspect du personnage : celui de l'ami dévoué des deux tiers de l'œuvre. Si cette teinte nous fait perdre en partie les harmoniques de la voix, on saluera une certaine conduite du chant dont l'irréprochabilité n'a d'égale que son inexpressivité.
Émission facile, projection contrôlée, legato délicieux, aigu joueur pour un chant toujours agile, voilà qui résumera le gracieux Oscar de Camilla Tilling qui charme l'oreille en introduisant le quintette de l'acte III. En Silvano, le rafraîchissant marin, on rencontre un format vocal se mariant confortablement à la pâte généreuse d'Ulrica : celui de la voix de Jean-Luc Ballestra dont l'usage maîtrisé et les ressources du timbre donnent à penser qu'après avoir offert une présence heureuse à ce rôle, il occupera un jour de plus omniprésents barytons, c'est certain.
Sans Marcelo Alvarez, sans Evan Bowers, sans Neil Shicoff, le vaisseau de Carlos Ott accueille pour la première fois Giuseppe Gipali que l'on retrouve avec plaisir [lire nos chroniques du 4 mars 2005 et du 9 avril 2005] dans un Riccardo d'abord prudent, toujours très précis (rôle qu'il approfondira à Marseille en mars prochain). D'une belle égalité de timbre, le ténor use dans un legato discrètement nourri, mais, pour apprécier cette belle voix, on remarquera que l'étroitesse de son émission qui se réserve sagement se perd parfois dans les vastes proportions des lieux. L'artiste s'affirme pleinement dans les derniers tableaux qu'il livre avec plus d'éclat, portant loin l'impact vocal. On signalera au lecteur la souplesse de la prestation et, surtout, la grande cohérence stylistique de son approche du rôle.
BB