Chroniques

par irma foletti

Un ballo in maschera | Un bal masqué
opéra de Giuseppe Verdi

Festival Verdi / Teatro Giuseppe Verdi, Busseto
- 5 octobre 2024
"Un ballo in maschera" au Teatro Giuseppe Verdi de Busseto...
© roberto ricci

Assister à un opéra dans le minuscule Teatro Giuseppe Verdi de Busseto [lire nos chroniques de La traviata et d’Aida], d’une capacité de trois cents places, est une expérience qui relève du privilège… même si l’on est mal assis en loge ! Évidemment, l’exiguïté du lieu réduit non seulement le nombre de spectateurs mais aussi celle des artistes en présence, à la fois dans la fosse d’orchestre et sur le plateau. Et pourtant, le Ballo in maschera de cette édition ne paraît pas souffrir de ces contraintes, proposant au public un vrai spectacle d’opéra, sans sentiment de miniature, ceci étant particulièrement vrai pour ce qui concerne la réalisation visuelle.

En coproduction avec le Teatro Comunale di Bologna et la Fondazione Rete lirica delle Marche, ce qui induit que le spectacle fera escale dans différents théâtres, la mise en scène de Daniele Menghini trouvera certainement davantage ses aises sur la scène bolognaise, plus vaste, dans la scénographie dense de Davide Signorini. Le premier acte s’ouvre sur un lendemain de fête, en présence de convives en tenue de soirée et masqués, pour la plupart allongés au sol à cuver des boissons alcoolisées. Un grand trône de bois noir, à gauche, est surélevé de quelques marches, et un trou béant, dans les lambris de fond de plateau, permet certaines entrées et sorties. Comme un roi bouffon, Riccardo s’y assoie, canette de coca en main, habillé de velours en reine élisabéthaine. L’apparition d’Ulrica est digne du film d’horreur : un personnage à l’apparence de zombie, le cheveu rare et long, qui porte des lentilles colorées. Les deux actes suivants épaississent encore le trait et donnent, par moments, l’impression d’être transporté dans le train fantôme d’une fête foraine où rien ne manque, entre squelette et anges suspendus à têtes de mort, trône recouvert de crânes, fumée et une tête ensanglantée agitée de spasmes qui sort du siège… On en apprécie d’autant plus les moments d’intimité, quand, par exemple, Amelia chante son grand air Morrò, ma prima in grazia, en début de troisième acte et, mieux encore, lorsque Renato interprète, rideau baissé, l’air splendide Eri tu che macchiavi quell’anima (…) O dolcezze perdute! Enfin, l’ultime tableau peut faire penser au film Le bal des vampires (Roman Polanski, The fearless vampire killers or Pardon me, but your teeth are in my neck, 1967), à la vue des costumes conçus par Nika Campisi et des fêtards qui dansent une assez sage macarena collective, en pivotant régulièrement d’un quart de tour.

La partie masculine de la distribution vocale l’emporte, avec deux remarquables incarnations. Nous avions apprécié le ténor Davide Tuscano à Toulon dans I Capuleti e i Montecchi [lire notre chronique du 14 mai 2024]. Son Riccardo de Busseto confirme tous les espoirs mis sur ses généreux moyens [lire notre chronique d’Il trovatore]. La voix est bien conduite et le timbre toujours agréable, tandis que le volume s’avère conséquent, surtout dans ce théâtre de petite taille. Son chant est également expressif, comme au cours de la longue scène du troisième acte, Forse la soglia attinse (…) Ma se m’è forza perderti. Autre rôle principal, le Renato de Lodovico Filippo Ravizza révèle un baryton d’une grande richesse et d’une rare noblesse de timbre. Si l’extrême aigu présente parfois une petite fragilité, toutefois maintenue sous contrôle, la splendeur de la voix opère une séduction immédiate – un chanteur à suivre, sans conteste [lire notre chronique d’Alfredo il Grande] !

En Amelia, Caterina Marchesini, soprano doté de beaux moyens en termes de projection et de qualité vocale, est plus inconstante. L’intonation n’est pas toujours parfaite, avec de petits temps faibles, ainsi que de beaux passages, les grands airs se situant d’ailleurs heureusement dans cette seconde catégorie. Elle assume ainsi avec panache sa grande scène du deuxième acte, d’abord seule puis en duo avec Riccardo, où le chant, plus dramatique, a tendance à se trouver en limite de cri. On peut émettre cette même remarque à l’égard de l’Oscar de Licia Piermatteo, aux aigus faciles mais un peu stridents parfois, soprano agile et encore plus aigu après avoir fait semblant d’inspirer de l’hélium d’un ballon de baudruche, en ajoutant de petites variations à la reprise de son dernier air Saper vorreste. En revanche, louons sans réserve les qualités de l’Ulrica de Danbi Lee, qui possède une vraie couleur de contralto quand elle poitrine dans le grave et une projection de grande ampleur de l’aigu dans l’air effrayant Re dell’ abisso affrettati. Giuseppe Todisco (Silvano), Agostino Subacchi (Samuel) et Lorenzo Barbieri (Tom) [lire notre chronique d’Enrico di Borgogna] complètent correctement.

Comme son nom l’indique, nous pouvons confirmer la jeunesse des musiciens de l’Orchestra Giovanile Italiana… et, une fois encore, « la valeur n’attend point le nombre des années » ! Au pupitre, Fabio Biondi obtient un superbe résultat de cette phalange d’une trentaine de musiciens. On remarque des tempi souvent retenus par le chef, vraisemblablement pour faciliter la tâche des chanteurs. Les artistes du Coro del Teatro Regio di Parma se montrent, quant à eux, meilleurs dans la nuance forte que pour l’attaque des moments les plus doux, régulièrement sujets à un tout petit temps de mise en place collective.

IF