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Chroniques
un certain Boulez (parcours I)
neuf fragments pour une mosaïque
Il y a vingt ans de cela, Montaigne Auvidis éditait Passeport pour le XXe siècle qui, d’une certaine manière, préfigure Un certain parcours, programme en trois parties donné sur deux soirées. Dans le texte accompagnant ce disque, Pierre Boulez faisait acte de pédagogue : « Plus on s’est acheminé vers la modernité, écrit-il, plus la manière de s’exprimer est devenue individuelle ; chacun a eu tendance à créer ses propres règles, son propre vocabulaire. La richesse de la musique s’en est trouvée augmentée d’autant, mais l’auditeur a dû de plus en plus s’adapter à chaque compositeur ». Faire connaître au néophyte quelques créateurs et courants marquants par une présentation rationnelle (chronologie) a pour lui moins de sens que de rapprocher des œuvres de façon plus sensible. On cumule ainsi les chances d’éclairer l’auditeur dans ses questionnements : « La mélodie existe-telle encore ? Y a-t-il vraiment harmonie et non pas cacophonie ? Le rythme n’a-t-il pas laissé la place au chaos ? »
Ce soir, retrouvant notamment l’Ensemble Intercontemporain, le compositeur ne cherche pas seulement à illustrer les notions de matériau, de timbre ou de forme grâce à des pièces courtes de ses contemporains : en neuf étapes n’excédant pas dix minutes, il propose « une mosaïque » sous une forme volontiers fragmentaire, déconcertante pour les puristes. Qui aurait imaginé, en effet, un concert commençant par un extrait de Des canyons aux étoiles et nous plongeant dans la fureur de la seconde partie du Sacre en guise de conclusion ? En ce qui nous concerne, fascinant et radical, ce nouveau défi rappelle cette pensée de Michel Tournier sur l’écrivain et le style : en vieillissant, soit on dégraisse… soit on engraisse.
Les cors mi-frémissants, mi-héroïques, lançant l’Appel interstellaire de Messiaen, ouvrent sur l’allégresse et la sensualité d’un mouvement de Musique pour cordes, percussion et célesta – que l’acoustique de Pleyel rend malheureusement métallique et ouaté. Aux cordes de Bartók succèdent celles de Webern – mouvements I, III et V du Quatuor Op.5 –, gagnées peu à peu par un ensommeillement. L’âpre clarinette, que Berg fait dialoguer avec le piano dans ses Quatre pièces Op.5, nous tire de cette léthargie, puis croît en limpidité à mesure que le tissu sonore se relâche. Avec son hautbois offrant une fine transition, Octandre semble autant le cœur du concert (cuivres évoquant son début, ostinati préparant sa fin) qu’une grande leçon de musique : Varèse n’y raconte rien, juste occupé à l’équilibre de sons.
Qui parle encore d’un Boulez impérial ? Après l’entracte, il gagne la scène en même temps que l’Orchestre de Paris – mais peut-être pour s’amuser de l’inconfort de ce dernier à s’installer sur un plateau des plus étroits… – et joue trois compositions assez proches avant d’attaquer Stravinsky. C’est en effet une sensation de flux qui s’impose à entendre Nuages d’une grande tenue, auquel succèdent deux des Cinq pièces Op.16 de Schönberg qui accentuent le lyrisme discret de Debussy et annoncent, par leurs scintillements, Une barque sur l’océan. La confrontation est imparable : alors que Ravel est le cadet du Viennois, qu’elle différence entre les cymbales surannées du premier, marquant des climax, et la musique du second, portant en germe la musique spectrale !
LB