Chroniques

par laurent bergnach

un certain Boulez (parcours II et III)
création de Distances de Jean-Baptiste Robin

Salle Pleyel, Paris
- 28 mai 2010
Un certain Boulez (Parcours II et III)
© vassily kandinsky

Tandis que Brève anthologie réunissait, hier, les pionniers du XXe siècle [lire notre chronique], l’autoportrait musical de Pierre Boulez se poursuit avec Une autre génération (celle de l’après-guerre), puis Et maintenant ? (trois compositeurs nés entre 1961 et 1981). Si les partitions de ces derniers sont livrées de la première à la dernière note – dont celle de Marc-André Dalbavie, approchant la demi-heure –, rappelons que la mise en avant du fragment est au cœur de ce programme. « On n’a pas le temps de rentrer dans l’œuvre », se plaint-t-on derrière nous. Amusant propos ! Outre qu’on ne fait jamais le reproche de la brièveté à une étude de Chopin, à un lied de Schubert, un mouvement de concerto serait-il à ce point dépendant d’un tout qu’on ne puisse prendre de l’intérêt à l’écouter seul ? Sans parler de la tentation gourmande de ne garder que le meilleur…

Non, la véritable plaie de ces deux soirées réunissant l’Orchestre de Paris et l’Ensemble Intercontemporain, ce sont les applaudissements – pourtant déconseillés par écrit, mais la salle aurait pu faire une annonce impérieuse, ne serait-ce que pour les étrangers toujours très nombreux aux concerts du Maître –, ainsi que des changements de plateau à n’en plus finir – quatre ce soir, qualifiés de « cauchemar » par le chef lui-même – qui étirent le patchwork jusqu’à y faire des trous. Espérons qu’un DVD sortira un jour, ménageant des coupes franches afin de retrouver l’unité voulue.

Encore, ultime pièce des Quatre dédicaces de Luciano Berio, fait le raccord avec l’énergie stravinskienne de la veille : vivement contrastée, la pièce semble un magma qui bouillonne avant de se figer. Moins minéral, plus ample et aérien débute Anniversary, centre d’un triptyque qu’Elliott Carter dédie à sa femme pour leurs noces d’or, avant d’être gagné par le serrement et l’angoisse – par chez nous, qui joue le centenaire aussi régulièrement que Boulez ? De la mesure 167 à la fin, Tema de Franco Donatoni tourbillonne comme un vent doux, tendrement obstiné. Agaçant, aussi. Seul solo du cycle, le Klavierstück V dévoile son trouble intérieur et accidenté sous les doigts de Dimitri Vassilakis.

La pièce de Karlheinz Stockhausen s’avère une pause bienvenue avant une fin de première partie bien trempée : troisième mouvement du Kammerkonzert de György Ligeti (clavecin « électrique », piccolo martelé) ; le deuxième de Stèle signé György Kurtág (cuivres entêtants, cordes folles) ; enfin Notations III et II, composés voilà trente ans. Par cette juxtaposition astucieuse, le créateur du Domaine musical prouve que sa musique s’aborde sans plus de difficulté qu’une autre. Sinon, pourquoi le public l’aurait-il encouragé à bisser la deuxième, aux percussions déchaînées ?

Nous avons déjà salué Boulez pour son écoute d’œuvres ayant moins de dix ans [lire notre chronique du 8 juillet 2006]. Ce soir, nous sommes déçus : la création de Jean-Baptiste Robin, Distances, parait bien construite, séduisante, mais marquée par trop d’influences encore, tandis que celle d’Helen Grime sur le sol français, Virga (2007), semble dans la lignée de bien des choses entendues ce soir, sans capacité à respirer. À l’opposé, Concertate il suono (2000) s’avère aéré, délicat, solaire, d’un suspense nourri de tensions enthousiastes. Pour être juste, l’œuvre jouit de la spatialisation, un sujet qui permet un entretien Boulez–Dalbavie–Derrien, durant lequel l’aîné dénonce, une nouvelle fois, ces architectes désinvoltes qui reproduisent à l’identique les salles du passé, ne donnant le change qu’en supprimant… « les femmes nues ».

LB