Chroniques

par bertrand bolognesi

un festival à deux orchestres
UBS Verbier Festival Orchestra, Mikhaïl Pletnev

UBS Verbier Festival Chamber Orchestra, Heinrich Schiff
Verbier Festival and Academy / Médran
- 29 et 31 juillet 2007
Martha Argerich joue le Concerto n°3 de Prokofiev au Festival de Verbier
© mark shapiro

Trois événements particuliers habitent cette édition du festival suisse. La traditionnelle présence de Martha Argerich et de ses amis, bien sûr ; celle, plus inattendue, de Chtchédrine ; enfin la programmation d'une intégrale des quatuors de Chostakovitch, donnée en sept rendez-vous par le Quatuor Aviv. Loin de demeurer parallèles, ces grandes lignes se rencontrent, comme dimanche soir où, après une œuvre symphonique du compositeur russe, la pianiste donne un concerto d'un de ses illustres ainés.

Sous la battue de Mikhaïl Pletnev, les jeunes gens de l'UBS Verbier Festival Orchestra introduisent la soirée par le Concerto pour orchestre n°1 de Rodion Chtchédrine – intitulé Plaisanteries espiègles dans la notice du concert, Tchastouchkas inconvenantes selon la traduction de Frans Lemaire ou, d'après d'autres sources encore, Couplets polissons. Dans ce bref Allegro assai écrit pendant la disgrâce subie par Khrouchtchev après la crise de Cuba, un inconvenant jazz soviétique truffé de citations drolatiques tire gentiment la langue à l'ancestrale pâte violonistique – autant d'éléments qui font la signature de l'auteur. Outre des unissons de cordes absolument impeccables, nous apprécions l'excellente performance des cuivres.

Martha Argerich [photo] gagne la scène pour livrer une interprétation flamboyante du Concerto en ut majeur Op.26 n°3 que Sergueï Prokofiev écrivit entre l'abdication de Nicolas II (1917) et la mutinerie de Kronstadt (1921). Dès l'Allegro, l'irréprochable mise en place de l'accompagnement accuse une absence de couleur. En revanche, le jeu de la pianiste (en grande forme) s'avère impulsif et passionnant, mordant et inventif. Elle ménage à l'Andantino central une suavité et une dynamique subtiles, pour des variations qui dissertent dans une nonchalance précieuse. Ce n'est qu'au milieu du mouvement que Pletnev se montre moins timide, soignant des demi-teintes qui, pour s'intégrer dans l'œuvre d'un moderne convaincu, n'en rappellent pas moins le passé et Rimski-Korsakov. Le dernier épisode laisse admirer l'incroyable clarté de frappe d’Argerich, ainsi que la redoutable précision des choix et contraintes qu'elle lui fixe, non-antagoniste avec l'opulence personnelle de ses phrasés, qui plus est sur le long terme, ce qui nécessite un souffle dont l'artiste ne manque pas.

En guise de conclusion, la Symphonie en mi mineur Op.64 n°5 de Tchaïkovski, donnée par Pletnev dans une verve nettement plus inspirée. Andante raffiné où se remarquent le lyrisme somptueusement exploité des violoncelles, la ferme tonicité de l'élan et la grande profondeur de ton. Dans un deuxième mouvement tout en muscle, la conduite dramatique s'affirme plus encore, refusant tout sentimentalisme contemplatif au profit d'une mélancolie active, si l'on peut dire. À un Allegro moderato élégant mais jamais chichiteux succède un Andante maestoso robustement articulé, achevé dans un geste musical souverainement altier.

On ne s'arrêtera guère sur la première partie du concert de mardi, partant qu'il est aujourd'hui difficile d'entendre Le quattro stagioni deVivaldi dans une lecture classique, alors que le renouveau baroque impose, depuis près de quarante ans, un style et des sonorités désormais indispensables à ce répertoire. Notons toutefois la présence de Julien Quentin au clavecin, compensant discrètement la prestation heurtée et hors propos de Sarah Chang au violon.

D'un impact dense qui favorise une expressivité puissante, Heinrich Schiff joue et conduit de l'archet le Concerto pour violoncelle et cordes en ut majeur Hob VIIb de Haydn, laissant poindre cependant les défauts de ses qualités : reconnaissant sa vigueur, son ardeur même, ses bonds et l'ampleur de son phrasé, on lui reprochera une articulation trop peu gracieuse, l'exactitude insuffisante et un certain manque de style dans le premier mouvement. Une grâce nouvelle frappe l'Adagio, la sonorité s'y trouvant servie par un grain à la fois nourri et délicat. Mais le dernier Allegro, plus qu'approximatif, scelle nos doutes. Pour finir, l'UBS Verbier Festival Chamber Orchestra, toujours placé sous la direction cordiale et rafraîchissante d'Heinrich Schiff, donne la Sérénade Op.48 de Tchaïkovski.

BB