Chroniques

par bruno serrou

un festival en transition

Aujourd’hui Musiques / Perpignan
- 10, 11 et 12 novembre 2010
le nouveau Théâtre de l’Archipel conçu par Jean Nouvel à Perpignan
© bruno serrou

Créé en 1991 par Daniel Tosi, désormais son conseiller musical, dirigé par Jackie Surjus-Collet, le festival Aujourd’hui Musiques de Perpignan est arrivé à la croisée des chemins. En effet, toujours plus intégré à la cité, cette manifestation vouée à la création s’apprête à couper le cordon ombilical qui la rattache depuis vingt ans au Conservatoire à Rayonnement Région de Perpignan (dont l’activité est aujourd’hui saturée, avec plus de deux mille sept cents élèves) pour acquérir, en novembre 2011, sa totale autonomie avec l’ouverture de la Scène Nationale de Perpignan qui en deviendra l’épicentre, implantée dans le nouveau Théâtre de l’Archipel conçu par l’architecte français Jean Nouvel.

Sous la direction du Catalan Doménec Reixach, cofondateur du Théâtre Lliure et ex-directeur du Théâtre National de Catalogne à Barcelone, ce nouveau lieu riche de deux salles – l’une de 1100 places à l’italienne avec fosse d’orchestre, le Grenat ; l’autre de 400 places modulable, le Carré – prend sous son aile la totalité des sites et activités spectacle vivant de la capitale de la Catalogne du nord, qui devrait bientôt devenir point d’intersection entre les deux pôles économiques majeurs de la région que sont Barcelone et Toulouse.

Érigé à l’entrée nord de Perpignan, ce bâtiment est voué non seulement au théâtre, mais aussi au cirque, à la danse, à l’opéra, à la musique et aux musiques dites actuelles. Ainsi, à l’instar des saisons de musique de chambre et symphonique jusqu’à présent organisées dans l’auditorium du conservatoire et d’autres salles plus ou moins adaptées, le festival Aujourd’hui Musiques s’intégrera dès sa prochaine édition à la programmation de l’ensemble. « La spécificité de notre mission de scène nationale est la pluridisciplinaire, avec un accent particulier mis sur la musique, se félicite Doménec Reixach. Jackie Surjus-Collet est chargée de la musique classique et contemporaine de la nouvelle structure, autant pour la programmation que pour la pédagogie, tandis que Daniel Tosi sera toujours notre conseiller musical. » Voilà donc un festival à l’avenir assuré, ce qui est plutôt rare de nos jours, grâce à un projet culturel global ambitieux, et qui pourrait, si la politique artistique s’avérait téméraire, élever la manifestation au rang de rendez-vous annuel majeur pour la création musicale.

Conformément à sa spécificité de métissage et de transversalité des genres musicaux, la vingtième édition de la manifestation s’est ouverte sur un concert du batteur australien Grant Collins qui attira les foules à l’Elmediator, salle de concerts populaires qui dut refuser l’entrée à plus de deux cents personnes, tant le succès fut grand. Décrit comme un maître batteur, Collins est, de fait, non seulement un digne héritier du grand Ginger Baker, connu pour ses prestations au sein du groupe Cream, aussi légendaire qu’éphémère, tant par sa virtuosité que par sa sonorité, mais aussi par sa musicalité. Après une heure d’impressionnants solos, Collins s’est intégré avec aisance, pour trois œuvres concertantes dirigé par Daniel Tosi, à un orchestre à cordes aux sonorités épouvantablement aigres et étriquées (face à la batterie, il eut fallu d’avantage de basses) et déformées par une sonorisation et un mixage peu flatteurs, les œuvres étant dénuées d’intérêt.

Mêmes problèmes pour le deuxième concert, avec une partition en création de Daniel Tosi (né en 1953), Phonic Design pour ensemble orchestral, trop ancrée dans la musique de variétés, et une pièce revisitée par le même Tosi sous le titre Vocalia Rythmica, la fameuse Messe de Notre-Dame de Guillaume de Machaut. Cette version créée à Perpignan en juillet dernier, ajoute au chœur (ici vingt-deux voix mixtes) trois percussionnistes. L’idée est attractive, à l’instar du Winterreise de Schubert admirablement revisité par Hans Zender pour ténor et ensemble, mais la réussite est bien moindre, surtout en raison, sans doute, de la participation d’un effectif choral trop important, le Collegium Vocal Méditerranée qui manque singulièrement d’homogénéité.

En revanche, le spectacle conçu et interprété par le percussionniste compositeur Roland Auzet et le jongleur Jérôme Thomas sur une musique électronique de Wilfried Wendling et mis en scène par le trampoliniste Mathurin Bolze a enthousiasmé le public, enfants et adultes mêlés, par la virtuosité du musicien confrontée à celle du jongleur, le propos hors normes et l’univers onirique émanant des objets sonores (globes, sphères, statues, totems) imaginés par un luthier particulièrement inventif.

BS