Chroniques

par bertrand bolognesi

un peu plus qu'un concert...
Orchestre de Paris dirigé par Paavo Järvi

Salle Pleyel, Paris
- 30 mai 2007
l'Estonien Paavo Järvi succèdera à Eschenbach à la têle de l'Orchestre de Paris
© sasha gusov

Si tant est que les soirées musicales puissent parfois se ressembler, ce concert de l'Orchestre de Paris n'est pas comme les autres, puisqu'il officialise une nomination : celle de Paavo Järvi à la tête de la formation, le chef estonien succédant à Christoph Eschenbach en 2010. Voilà une décision en soi réjouissante, d'autant soulignée par la qualité de la prestation de ce soir. Pour sa troisième rencontre avec les musiciens, Paavo Järvi dirige Sibelius (de même qu'en mars 2004) et Chostakovitch.

Pour commencer, le Concerto pour violon et orchestre en ré mineur Op.47 deSibelius, articulé dans une grande retenue qui ménage à Lisa Batiashvili une souplesse d'expression bien venue. L'abord semble assez prudent, toujours soigné, la violoniste géorgienne livrant une sonorité d'une soyeuse clarté à l'Allegro moderato. Dans l'Adagio central, on goûte une délicate répartition des timbres, magnifiée par un travail minutieux des vents. Järvi cisèle un relief plus affirmé à ce mouvement, non dépourvu d'un rien d'élan, toujours sagement contrôlé. Enfin, l'Allegro ma non tanto conclut une interprétation solistique plutôt fluide dont on regrette cependant la respiration encore nerveuse. Saluons l'extrême sobriété du final.

Après l'entracte, Paavo Järvi aborde la très populaire Symphonie Op.60 n°7 « Leningrad » écrite par Dmitri Chostakovitch en 1941, pendant le terrible siège de sa cité natale. À l'inverse de son approche du concerto, il s'engage immédiatement dans le son, avec une santé irrésistiblement communicative que contrastent bientôt les délicatesses des bois amenant les latences que l'on sait. Du remarquable équilibre des cordes, fort précisément distribuées, il obtient un velours étonnant, avant d'amorcer la célèbre marche à l'implacabilité de laquelle il oppose finement le chant gracieux de la flûte, plutôt que de fondre l'ensemble en un seul caractère. Voilà qui laisse croître l'enfer jusqu'à contaminer progressivement tout l'orchestre. S'il est convenu de considérer cet aspect comme l'illustration de l'envahissement allemand, on pourrait tout aussi bien estimer qu'il exprime celui d'une politique de parti rendue irréversible, trois ans après la publication d'un fameux texte, connu aujourd'hui sous son surnom de Cours abrégé, par lequel Staline, couronnant d'une sinistre ejovtchina les affaires Kirov et Rioutine, consolida l'omniprésence de l'État sur chaque détail de la vie soviétique – de fait, classer la Septième comme « œuvre de guerre » pourrait bien être la survivance d'un non-dit.

Ce qui est certain, c'est que la musique de Chostakovitch va comme un gant à Paavo Järvi – à se souvenir de sa version de la Résurrection de Mahler, on ne s'en étonnera pas [lire notre chronique du 6 juin 2006]. Le crescendo est idéalement géré, sans négliger la lumière à orienter sur les traits solistiques, comme celui du basson, par exemple, simplement excellent. Le Moderato se tisse à la faveur d’une rencontre miraculeuse de l'élégance et de la vigueur, tandis que l'Adagio donne libre cours à une gravité lasse que le chef souligne discrètement. Pour finir, malgré quelques unissons encore discutables des seconds violons et une passagère fatigue des cuivres (vaillamment sollicités), l'ultime Allegro suscite l'enthousiasme d'un public qui fait fête à son orchestre autant qu'à son prochain maître.

BB