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Chroniques
un récital et une soirée de concerti
Adam Laloum, Roger Muraro, Laurent Campellone
Dans la cité stéphanoise, les directeurs de l’Opéra-Théâtre changent, mais le festival Piano Passion continue sa route et vit sa douzième édition, de Bach au jazz accompagnant des films muets, des grands noms du clavier aux jeunes artistes, et toujours devant un large public. C’est justement à la nouvelle génération qu’appartient Adam Laloum, déjà bardé de récompenses, dont tout récemment le premier prix du prestigieux Concours Clara Haskil.
Ici, son choix se porte sur deux grands noms de l’école romantique : Chopin d’abord, Schubert ensuite. On serait d’ailleurs tenté d’écrire plutôt Schubert surtout, Chopin accessoirement, après l’écoute de son interprétation, d’ailleurs point excessivement bien servie, semble-t-il, par l’instrument mis sous ses doigts et placé devant un mur de bois ondulé. Chopin est abordé en premier, avec les Nocturnes n°7 et n°12, puis cinq Mazurkas, toutes pièces curieusement embuées dans la même atmosphère, les mêmes couleurs, le même discours. Après l’Impromptu n°3 coulé dans le même moule, il faut attendre la Ballade n°4 pour sentir naître une véritable personnalité pianistique, donnant enfin à cette partition son caractère propre. Schubert est plus gâté – il est vrai que la pâte est autrement riche ! Il est vrai encore que la Sonate D.959 est un chef-d’œuvre à elle seule dans laquelle le jeu d’Adam Laloum gagne en épaisseur, en engagement, ceci en parfaite symbiose avec le message schubertien. En particulier dans le délicat Andantino où le regard du pianiste quitte enfin la partition et l’étincelant Rondo final qui laisse rayonner jeu et visage.
En synthétisant à l’extrême, on dira que simplicité, fluidité et homogénéité scellent fort bien le jeu de cet artiste. Globalement, on aimerait tout de même plus de relief, d’engagement, de frémissement, bref de vie intense.
« Qu'importe le flacon, pourvu qu'on ait l'ivresse » affirmait lyriquement Alfred de Musset dans son poème La coupe et les lèvres. Force est de constater que notre Alfred a menti… du moins dans le domaine musical quand une partition est matérialisée, restituée, bref rendue à la vie et livrée aux auditeurs, d’abord par un interprète, mais aussi par un instrument sinon en chair et en os, du moins fait d’un matériel interprétatif, qui prend une part fondamentale dans cette recréation d’un instant. La soirée de samedi confirme la chose – hélas ! – par l’usage du « piano de service » (celui de l’Opéra-Théâtre), brutal et disharmonieux compagnon de route imposé aux musiciens. Si le récital d’Adam Laloum (mardi) était l’exemple de cet assemblage aussi malheureux que déséquilibré, la soirée de clôture, consacrée à trois pièces concertantes, théorise le problème.
Bien que l’ordre du programme ait changé (sans que le directeur ait pris le soin de l’annoncer à un public qui n’est pas uniquement composé uniquement de musicologues), tout commence plutôt bien, sous la direction alerte de Laurent Campellone, jouant à merveille des beautés, des élans, de la musicalité et de la cohésion développés par les divers pupitres de l’Orchestre Symphonique de Saint-Étienne. Avec l’Adagietto de la Symphonie n°5 de Mahler comme de l’étonnante et savoureuse Psycho Suite pour cordes que Bernard Herrmann écrivit à partir de sa musique pour le fameux film d’Alfred Hitchcock (1960).
La prestation d’un pianiste aussi complet, aussi vivant, aussi engagé que Roger Muraro – dont l’interprétation de la Symphonie Fantastique de Berlioz transcrite par Liszt reste un enchantement et un modèle en la matière [lire notre chronique du 19 août 2010] – faisait saliver les mélomanes. Son entrée en fougue dans l’éblouissant et fameux Rhapsody in Blue de Gershwin augure bien d’une suite qui, malheureusement, ne confirme point toujours la chose. Certes, l’exécution de l’également fameux et cinématographique Warsaw Concerto,composé par Richard Addinsell en 1940 pour Dangerous Moonlight, le film d’Anton Walbrook, possède le panache requis, les sonorités nécessaires, malgré une certaine fébrilité dans les attaques. Mais le pauvre Beethoven s’avère nettement moins bien servi, dans ce qui est certainement son chef-d’œuvre pour le piano concertant, le Concerto en mi bémol majeur Op.73 n°5. Plutôt qu’« Empereur », c’est de charge héroïque qu’il faut parler, toutes voiles dehors, par un artiste au visage concentré mais fermé, un œil sur le clavier, l’autre sur les musiciens, parfois accompagné d’un geste directorial. De plus – histoire d’acoustique, là encore ? – le premier mouvement est attaqué de front et de décibels par Campellone qui le transforme en concerto pour percussion. L’Adagio suivant demande sans doute plus de moelleux, de musicalité ouatée, de la part du soliste, avant un Allegro final vraiment plus précipité que rayonnant et apollonien, quoiqu’indiqué « ma non troppo », au clavier certes viril mais heurté et corseté.
Souhait de mélomane en conclusion : que la Ville de Saint-Étienne investisse dans un beau et vrai piano de concert, agréable à l’écoute comme au jouer, à son orchestre, à son directeur musical et au public.
GC